Interview avec Saad Jones, écrivain, auteur du roman "Violent Instinct", thriller géopolitique palpitant se déroulant dans l'univers du Metal extrême...
LSdR : Ton livre est un vrai page turner, écrit à
l’américaine, avec un côté choral, des chapitres incisifs, un cliffhanger qui
nous tient en haleine. Est-ce que tu as un goût pour ce genre littéraire à la
base, ou bien as-tu choisi ce style, cette structure afin de servir ton sujet ?
SJ : Cela va
peut-être paraitre étrange aux plus littéraires des lecteurs du ScribeDuRock,
mais la manière dont j’ai structuré et écrit VIOLENT INSTINCT a plutôt été guidée par mon expérience
de dessinateur, de peintre et de designer, une sorte de déformation professionnelle
plus qu’à un gout pour un style particulier. Je pense par exemple avoir été plus
influencé par la bande dessinée et la façon dont les dessinateurs organisent
leurs mises en page, et notamment choisissent de mettre en scène la dernière
case d’une page.
Mon approche de
l’écriture est en réalité très graphique, un peu sonore, voire
cinématographique. J’ai récemment entendu un académicien qui disait qu’écrire
un roman est un travail d’artisan, pas de littéraire, et je pense qu’il a
raison. Je dirais même plus que, ne possédant pas une grande culture littéraire,
cela m’a sans doute offert une certaine liberté pour m’affranchir de références
trop pesantes. De plus, vivant hors de
France depuis maintenant plus de dix ans, je pense aussi que le rythme de mon
écriture a aussi été influencé par le fait que je passe mes journées à écrire
en anglais, qui en général requiert des phrases plus courtes et plus concises.
LSdR : Souvent le premier livre sorti d’un auteur
est en réalité loin d’être le premier qu’il ou elle a écrit. Est-ce le cas pour
toi ? Ton histoire avec l’écriture. Peux-tu nous dire d’où te vient ce goût ?
SJ : C’est une
passion très tardive. Je n’ai jamais vraiment eu le gout de l‘écriture avant VIOLENT
INSTINCT. A l’origine, je suis plus un artiste, et j’ai touché un peu à tout :
le design, la peinture, la sculpture, la musique, l’architecture, la photo,
etc… mais, il y a quelques années, pour des raisons professionnelles, je me
suis retrouvé à passer beaucoup de temps dans des trains et dans des avions, et
le seul moyen pour moi de « créer » était d’écrire. Aujourd’hui,
c’est mon outil créatif principal, car il m’offre une liberté extraordinaire.
Etrangement,
j’ai découvert récemment que l’un de mes arrières grands-pères avait été un
écrivain publié au début du siècle dernier (en plus d’être comme moi un peintre
et un voyageur). J’avais peut-être ça
dans les gènes en fait…
LSdR : As-tu
choisi tes personnages pour des raisons servant le récit, ou parce qu’ils se
sont imposés à toi au fil de l’écriture ? Je pense à Karam, Ziad, Zafer,
notamment, savais-tu dès le départ quel rôle ils auraient dans l’histoire,
quelle psychologie ? As-tu planifié un arc d’évolution des personnages ou bien
les as-tu laissés « vivre » ?
SJ : Mon roman est un triptyque dont l’action
tourne autour de trois personnages principaux : Tilio, « l’indécis », le chanteur
d’un groupe de Death Metal perdu dans ses excès, Zafer, « l’ambitieux », le violent leader
du groupe, et Dan, « le croyant », le prototype parfait du die-hard
fan, sacrifiant sa vie pour ces idoles.
Ces trois personnages se sont imposés quand j’ai rédigé la structure de VIOLENT
INSTINCT, car mon intention première
était de trouver jusqu’où peuvent nous mener l’ambition, la dépendance, la
folie, l’amour pour une femme, l’amour de la musique (du Metal en particulier),
la vengeance ou la déception. Les évènements que subissent dans le roman ses
trois personnages ont pour but d’exacerber leurs psychologies respectives et
les faire réagir de manières différentes, avec toujours sous-jacente une
violence qui ne demande qu’à exploser (d’où le titre du roman).
Ensuite, il y a
les personnages qui, quoique secondaires, nourrissent les personnages principaux :
Zafer a un jumeau Karam, plus posé, plus réfléchi, un peu comme son négatif… Dan
possède Jake, un ami d’enfance, celui qui lui a réussi, qui le prend un peu de
haut… Tilio, le héros, rencontre Marie,
qui lui offre son énergie et une forme de conscience, car elle est une femme de
combat, alors que lui se laisse vivre. Tous ces personnages se répondent et
évoluent ensemble.
Dans une
troisième « strate », il y a aussi une kyrielle de personnages qui
eux nourrissent le décor et l’ambiance. Ils interfacent avec les personnages
principaux et secondaires, mais ils sont présents pour enrichir les contextes
de chaque scène et raconter des
histoires parallèles. Ce sont des journalistes, des musiciens, des chauffeurs
de taxi ou des anciens maitres de guerre reconvertis en mafieux. Ils sont nés naturellement au fur et à mesure
de l’écriture de VIOLENT INSTINCT, mais n’ont pas pour autant un impact
minimal. Leurs actions sont plus importantes que leurs psychologies, mais
parfois permettent aux lecteurs de se reconnaître. Ensuite, il y a le Metal, qui
est un personnage à lui tout seul…
Q6 : Ton rapport au Metal . Tu cites beaucoup de groupe
avec tes titres de chapitres, sont-ils le reflet de tes gouts ?
SJ : Oui, tous
les groupes dont j’ai utilisé des titres pour nommer mes chapitres, et les
groupes que je liste à la fin du roman sont des groupes qui ont comptés dans ma
vie. Il existe d’ailleurs beaucoup de référence « Metal » dans mon
roman. Même si j’ai des préférences et que mes gouts ont changé avec l’âge, je
crois que ces groupes représentent aussi la diversité du Metal. La diversité du
Metal et dans le Metal sont des thèmes
très importants pour moi. « Global Metal » est un peu ma devise.
Mon second
roman abordera le monde du Black Metal, donc la liste des groupes va
s’allonger, incontestablement.
LSdR : Ton roman semble très structuré. Cela
s’est-il fait naturellement, ou as-tu beaucoup travaillé le plan ?
SJ : Je
travaille beaucoup la structure de mes romans, car elles forment des fondations
sur lesquelles je peux appuyer mon imagination. Même si je les fais évoluer au
fil du temps, avant d’écrire, j’aime mettre en place les chapitres et lister
les diverses actions et thèmes que je souhaite développer dans chacun. Ensuite,
même si je divague un peu dans mon écriture, le tout garde une cohérence, car
je suis obsédé par la cohérence. Toutefois, si je décide à un moment que le
récit doit prendre une autre direction, je retravaille la structure avant de
réécrire quoi que se soit.
La structure
définit aussi le rythme et, en tant que batteur, c’est essentiel pour moi.
LSdR : Parmi tes personnages, auquel t’identifies-tu
le plus ? Il y a Tilio, le chanteur et plus ou moins héros de l’histoire, mais
aussi le fan, qui joue en définitive un rôle très important. Le héros se
devait-il d’être le chanteur du groupe, sachant que Tilio n’est pas le leader,
à priori, plutôt le héros romantique dont la quête va nous toucher, nous
lecteur, particulièrement ?
SJ : Je réalise
que je ne suis jamais posé la question : quel sera mon héros ? La
réalité est que j’ai plus l’ambition de raconter des histoires que de relater
les exploits d’un héros ou les méfaits d’un ignoble méchant. Je trouve cela
plus intéressant d’essayer de proposer
des personnages (d’où l’effet chorale) dans lequel chacun peut y retrouver un
peu de soi. Je retrouve dans l’incrédulité de Tilio quand il arrive au Liban la
même que quand je suis moi-même arrivé à Beyrouth la première fois, L’ambition
de Zafer me touche car il a un rêve que tous les musiciens ont eu (devenir une
star), et le Die-hard fan (Dan) a la même fébrilité quand il rencontre ses
idoles que celle que j’ai eu récemment en échangeant quelques mots avec
Stéphane Buriez (Loudblast) et Raymond Herrera (Fear Factory).
LSdR : il y a un personnage féminin très important,
loin des archétypes, comment t’es venue le désir d’incorporer cette dimension
féminine, presque féministe, à ton roman ?
SJ : Je suis peut-être
une femme ? Qui sait, sous le masque ?
Peu le savent
mais je ne vis plus en France depuis plus de dix ans, et je voyage beaucoup,
notamment au Moyen-Orient qui est une région que je connais très bien. Je
rencontre chaque jour des femmes extraordinaires, qu’elles soient voilées ou
non. J’espère qu’à travers mon personnage de Marie, j’ai réussi à rendre hommage à leur courage.
Si cela fait de moi un féministe, je prends cela comme un compliment.
LSdR : Pourquoi inventer des noms de groupe au lieu
de jouer le réalisme à l’américaine ? Est-ce pour des raisons légales ?
SJ : Au tout
début de l’écriture de VIOLENT INSTINCT, j’ai en effet évité d’utiliser des
noms de groupes connus pour des raisons légales, même si je n’y connaissais pas
grand-chose. Puis, je me suis rendu compte que cela aurai aussi parasité mon
histoire, et je souhaitais que les lecteurs se concentrent sur mes personnages,
pas sur la manière dont je décris tel ou telle star…
Si l’on regarde
ce qu’est la « littérature » Metal, la majorité se compose de
biographies, et il est très rare de trouver du contenu qui ne met pas en valeur
une valeur sûre du « business Metal ». Je ne voulais pas faire un
roman qui soit une « extension » de la sphère Metal, je voulais faire
un « Roman Metal », avec des vrais morceaux de metalleux dedans.
Les groupes et
les personnages fictifs créés dans VIOLENT INSTINCT, même si certains sont
fortement inspirés de personnages réels (Sandemonium
est inspiré d’Orphaned Land et White Iron est un mélange d’Iron Maiden et de Black Sabbath) sont aussi de formidables opportunités. Dans les
deux suites qu’aura ce roman, deux personnages secondaires seront mis en
valeur.
LSdR : Qui sont tes écrivains préférés ?
SJ : J’ai une
grande passion pour Albert Camus, et c’est sans doute le seul écrivain dont
j’ai lu tout l’œuvre. J’aime son humanisme, sa pudeur, et la manière dont il
joue avec le temps. Quand je lis du Camus, le temps n’existe plus, il se dilue
dans ses histoires, et cela m’apaise.
LSdR : Tu
donnes une vision très positive du Metal dans ton livre. C’est d’ailleurs amené
de façon très intéressante et inattendue. Selon toi, Le Metal représente-il quelque chose qu’il est
important de défendre ?
SJ : Le Metal
fait partie de ma vie depuis plus d’un quart de siècle, et cette musique a
accompagné tous les évènements importants de ma vie. C’est une source
d’énergie, de plaisir, de jouissance, ou de réconfort, alors pourquoi ne pas y
voir du positif ?
L’un de mes
objectifs en écrivant VIOLENT INSTINCT était de comprendre pourquoi moi,
non-violent et antimilitariste, timide, poli et sage, j’aimais cette musique de
fou-furieux. J’ai découvert vers la fin de l’écriture de ce roman que le Metal
n’était en fait qu’une histoire de sincérité (page 233 de mon roman). Au-delà du décorum, du morbide, des codes, de
l’agressivité et des styles, ce qui réunit les metalleux des caves de Bagdad,
ceux de San Paolo, de Marseille ou de Jakarta, c’est une envie de sincérité, de
cracher ses tripes et d’exprimer ses émotions d’humain, même les plus noires et
les plus intimes. Le Metal permet cela, le Metal n’a pas de limite, et pas de
frontière non plus (ou ne devrait pas).
LSdR : Tu as choisi le mystère de l’anonymat,
peux-tu nous dire ce qui a motivé ce choix ?
SJ : J’ai choisi
l’anonymat pour plusieurs raisons. La première raison tient à ma vie
professionnelle et bien entendu ma famille, que je veux protéger. Je beaucoup voyagé, et travaille, vit, et
visite régulièrement des pays qui ne sont pas des démocraties, et où certains
mots peuvent te mener en prison. Une scène de mon roman décrit mon personnage
principal, Tilio, qui se fait arrêter
par une milice paramilitaire. Cette scène m’est arrivée personnellement,
et j’en garde un souvenir mitigé. Cela peut paraitre curieux pour beaucoup de
français, et notamment pour ceux qui ont lu mon roman, mais un de mes amis qui
est venu me rendre visite au Moyen-Orient récemment m’a demandé, avant de
monter dans l’avion, s’il pouvait prendre mon roman avec lui, car il avait
certaines craintes.
L’anonymat,
c’est aussi un page blanche, et le choix de mon nom de plume, le choix de mon
masque, de mon apparence, de l’esthétique que je veux exposer, et les
contraintes que je m’impose dans ma communication, tout cela fait partie d’une
démarche artistique que j’espère cohérente.
LSdR : Écris-tu en musique ? La bande son de ton
travail d’écrivain sur ce livre correspond-t-elle à la liste des groupes cités
?
SJ : J’écris
toujours en musique, et choisis souvent ma bande son en fonction des scènes sur
lesquelles je travaille. Le Metal a ceci d’extraordinaire qu’il m’offre une
multitude d’options, d’ambiances et de rythmes. Pendant l’écriture de
VIOLENT INSTINCT, j’ai également écouté de la musique libanaise (en particulier
la grande chanteuse Fairuz que j’adore et à qui je fais un clin d’œil dans le
roman) et me suis mis à la musique malgache pour l’écriture des chapitres de
RED ROOTS qui se déroulent à Madagascar. Pour les parties se déroulant en
Norvège, cela m’est plus facile !
LSdR : As-tu mis longtemps à l’écrire ?
SJ : L’écriture
de VIOLENT INSTINCT m’a pris quatre ans. Etant insomniaque, j’écris la nuit,
donc cela prend du temps. J’ai commencé l’écriture la suite de VIOLENT
INSTINCT, il y a un an, et je viens de dépasser la moitié… donc je m’améliore !
LSdR : Que nous prépares-tu pour ton prochain livre
? Se déroulera-t-il encore dans la scène métal ?
SJ : VIOLENT
INSINCT est le premier opus d’une trilogie. J’ai écrit plus de la moitié de la
suite dont le titre sera RED ROOTS, et dont l’action aura pour théâtre l’ile de
Madagascar et la Norvège (avec un petit passage par la France). Il sera question de Black Metal et de
« racines ». Le troisième et
dernier opus sera plus centré sur le NWOBHM et parlera de sujets plus
« intimes », et dans les deux suites vous retrouverez des personnages
de VIOLENT INSINCT, mais je ne vous dirais pas lesquels.
J’ai aussi une
deuxième trilogie en tête, tout aussi Metal, mais basée sur des sujets qui me
touchent ou m’intéressent : l’extrême droite et le fascisme, la politique,
les choix que l’ont fait dans la vie…
LSdR : Dans quel état d’esprit as-tu relu ton livre
pour le préparer à l’édition ? Quel est ton process d’écrivain ?
SJ : Quand
j’ai terminé VIOLENT INSTINCT, je me suis dit qu’aucun éditeur ne
s’intéresserait à un roman sur le Metal, car
il n’en existe que très peu. Je n’ai même pas pris la peine d’envoyer
mon manuscrit aux maisons d’Edition et j’ai de suite décidé de partir vers
l’autoédition.
Aujourd’hui, on
me conseille de chercher un éditeur, et je le ferai peut-être dans les
prochains mois. Cependant, je suis très
attaché à ma liberté et la cohérence (encore) que je m’impose. Je suis dans une démarche artistique, et
beaucoup de mes choix actuels sont pour moi essentiels. Je devrais donc trouver
un éditeur qui respecte cela, et qui ne m’oblige pas à me compromettre. Par
exemple, j’ai décidé de mettre en ventre mon roman au prix de 16,66 Euros en
France, 16,66 Livres en Grande-Bretagne et 16,66 dollars aux Etats-Unis. Cela
pourrait paraitre stupide à un éditeur, car pour vendre dans l’autoédition, il
vaut mieux proposer un très bas prix pour vendre plus et se faire connaitre.
Pour moi, proposer aux Metalheads un roman à 16,66 Euros (9,99 Euros en version
Kindle) fait partie de mon plaisir d’écrivain et est en cohérence avec ma
démarche.
Je suis
ambitieux, et suis ouvert à toutes collaborations, donc si un éditeur me
propose son aide en m’expliquant les bénéfices que je peux trouver à être
éditer, pourquoi pas. Mon avenir dépendra de mes rencontres en 2019.
S(a)ad Jones