Alors que certains groupes se contentent de reproduire un même schéma d'album en album, d'autres creusent toujours plus profond dans les méandres de leur créativité. Ataraxie fait partie de ces derniers, et nous livrent à chaque fois un album dont on se dit qu'ils ne peut pas être encore plus extrême dans sa lourdeur et sa noirceur que le précédent...Et pourtant, ils viennent encore de nous donner tort avec "Résignés" absolument abyssal...Explications...
Bonjour Ataraxie. Vous êtes nés en 2000 à Rouen, en Normandie.
Pouvez vous nous rappeler les conditions d'émergence du groupe ?
Ataraxie
est né sur une idée de Jo, chanteur/bassiste du groupe, au moment
du split de son ancien groupe de Black Metal, Reign of Evil. A
l’époque, il écoutait déjà beaucoup de Doom, et il s’est mis
en quête de musiciens pour jouer ce style. Nous nous sommes tous
rencontrés par l’entremise d’un disquaire Metal qui existait
dans notre ville, et après quelques mois de stabilisation du
line-up, Ataraxie a pris sa forme définitive à la mi-juin 2001, le
line-up étant resté inchangé jusqu’en 2014.
Qu'est ce qui se cache derrière ce groupe ?
Pourquoi
ce nom ? Ce genre musical ?
J’ai
envie de te dire : un des groupes les plus extrêmes dans le
style doom-metal, formé par des musiciens très passionnés de leur
art.
Ataraxie
s’appelle ainsi parce que c’est un état d’esprit que nous
cherchons tous à atteindre, et ceci est difficile expérimenter les
faces sombres de l’existence : et c’est ce que raconte notre
musique.
Quand
au choix du doom-metal ? Une évidence. Nous aurions pu choisir
d’être le millionième groupe de black metal ou de death metal de
notre ville, mais nous avons préféré défricher des terres
musicales où il y avait selon nous énormément de choses à faire,
et de s’y forger notre personnalité propre.
Vos influences principales (musicales et autres) ?
Concernant
la mouture actuelle d’Ataraxie, cela commence à être un peu
difficile d’y répondre dans une simple question, d’une part
parce que nous considérons avoir assez de bouteille pour s’être
affranchis de nos propres influences et être devenus une entité à
part entière ; mais aussi parce qu’avec les années, nous
avons fini par apporter un nombre considérable d’inspirations dans
notre musique, même si elles ne sonnent pas toujours de manière
évidente.
Mais
parce qu’il faut se plier au jeu, je dirais que d’une part, le
doom-death metal dit « old school » nous a influencé,
que ce soit l’école des « Peaceville Three », ou la
manière bien plus brute de groupes principalement américains, comme
Winter, Dusk, et Evoken dont, à titre personnel, l’album Quietus a
été une révélation.
S’y
mêlent d’autres groupes, comme Bethlehem dont l’avant-gardisme
extrême a été une grosse influence, disEMBOWELMENT et sa brutalité
mêlée de passages doom les plus lents, et des groupes de doom dits
plus traditionnels comme Candlemass par exemple.
Enfin,
n’oublions pas le death metal, dont nous sommes tous fans de la
face la plus old school (immolation, obituary, bolt thrower,
autopsy…) et une certaine dose de metal extrême venue de divers
horizons.
Vous commencez en 2001 avec un split album en Live baptisé Live
In Rouen avec
vos collègues normands de Hyadningar, apôtres du Black Metal.
Pouvez vous nous dire ce qui a fait que ce soit votre première
sortie ?
Houla,
tu ressors les très vieux dossiers là ! J’avoue
qu’aujourd’hui c’est un enregistrement que je considère comme
anecdotique. Hyadningar et Ataraxie étaient des groupes
« consanguins », on retrouvait deux membres dans l’un
et l’autre groupe (aujourd’hui, un troisième membre est aussi du
line up d’Ataraxie). Il s’agissait d’enregistrements pris
direct à la console de notre premier concert sous le line up
2001-2014, et avec Hyadningar nous aviosn trouvé intéressant de le
sortir en CD-R tout simplement pour exister au niveau de la scène
locale.
Votre premier album Slow
Transcending Agony voit
le jour en 2005 chez Weird Truth Productions. Nous assistons médusés
à la naissance maudite de votre « extreme doom metal ».
Pouvez vous nous en dire plus sur ce premier LP ? Quel est votre
regard dessus presque 15 ans après ?
Slow
Transcending Agony a été l’album de beaucoup de premières !
Nous avons injecté nos petites économies d’étudiants dans ce
projet, pour se payer un studio professionnel, où c’était bien
sûr notre première fois. Et nous y avons beaucoup appris !
Quinze
ans après, nous avons encore grand plaisir à jouer les chansons de
cet album en tous cas. Nous jouons encore souvent Slow Transcending
Agony et l’Ataraxie lors de nos concerts par exemple.
Je
sais que le public considère souvent cet album comme notre album
« culte », j’ai avec le recul tendance à penser que
nous « n’étions pas finis » sur cet album, en tous cas
pas avec une personnalité aussi forte que celle que nous avons
aujourd’hui.
Extreme Doom Metal est le style que vous revendiquez. Peut on dire
qu'on est entre les débuts Doom/Death de My Dying Bride ou Paradise
Lost et le Funeral Doom de Thergothon, Skepticism ou Evoken ?
Pour
le coup, je pense avoir déjà partiellement répondu à cette
question précédemment. Nous ne revendiquons pas vraiment
l’étiquette Funeral Doom, qui à mon avis va bien sûr comme un
gant à Thergothon et Skepticism.
Evoken
par contre est beaucoup plus proche de notre démarche (et comme nous
aime réfuter l’étiquette « Funeral Doom » pour y
préférer « Extreme Doom »), même si moins extrêmes
que nous pouvons l’être dans notre démarche.
Donc,
pourquoi Extreme Doom Death Metal ? Parce que notre Doom Death
est teinté d’explosions de rage et de violence et que nous
n'hésitons pas à franchir les frontières qu’on aimerait mettre
entre ce style et le reste de l’univers Metal.
Quel est le message d'Ataraxie ? Il y a beaucoup de tristesse et
de souffrance dans votre musique, en quoi cela reflète t'il vos
pensées ?
Ce
que tu entends est la face sombre de nos êtres. Et c’est inspiré
par le monde tel qu’il existe autour de nous, plein de stress, de
stupidité, de cupidité et de voyeurisme imbécile.
Mais
plutôt que de laisser ces pensées s’emparer de nous, nous les
transformons en quelque chose de noir, certes, mais de Beau.
C’est
peut-être là notre message : la paix intérieure en laissant
traverser en soi la tristesse, la souffrance et les choses négatives
de l’existence. L’Ataraxie.
Anthédonie,
toujours plus sombre, est votre deuxième album, sorti en 2008. Avec
les influences Funeral, Doom et Death, on y trouve des passages
flirtant avec le Black Metal. Quelle est votre relation à ce genre ?
Quels groupes aimez vous ? Un mot sur l'album ?
Comme
je le disais un peu plus haut, nous sommes tous fans de Metal au sens
large, ce qui comprend le Black Metal.
Pour
ma part, j’ai développé une appétence pour plusieurs groupes de
ce genre avec les années, principalement dans la scène dite
« suicidal BM » (Shining dans ses débuts, Forgotten
Tomb…), et un peu plus sur le tard pour des groupes un cultivant une
authenticité dans sa musique. Par exemple, Ghaal est un artiste que
j’aime beaucoup, il suffit de le voir monter sur scène et on
comprend qu’il incarne tout ce qu’il chante.
Anhédonie,
pour moi, c’est comme on dit vulgairement « l’album de la
maturité ». C’est sur celui-ci qu’on entend le Ataraxie
qui a enfin digéré ses influences, et a trouvé l’incarnation
musicale qui lui sied complétement. Paradoxalement c’est peut-être
l’album qui a été le moins bien reçu, mais peut-être que les
fans de la première heure attendaient un Slow Transcending Agony
II ?
Vos influences littéraires sont à piocher du côté des romantiques
du 19ème siècle comme Barbey d'Aureivilly, Huysmans ou Baudelaire ?
Baudelaire
certainement, les romantiques ayant écrit quelques unes des plus
belles pages de la littérature sombre française. Cependant, si tu
relis les paroles, tu verra qu’on y trouve également les thèmes
existentialistes et nihilistes qui ont été mis en avant par la
suite. Camus, Sartre sont déjà là.
A chaque sortie, on a le sentiment qu'Ataraxie plonge dans encore
plus d’extrémisme. Est-ce une recherche consciente ? Voulez
vous atteindre un certain niveau de ténèbres ?
Ce
n’est pas un processus vraiment conscient : tout ce que nous
savons est que nous voulons éviter de nous répéter, enfin pas de
trop, et que ce que nous faisons c’est juste d’explorer plus loin
encore notre identité musicale.
L'être
et la nausée,
double album particulièrement noir, nous arrive en 2013. La
référence a Jean Paul Sartre et « la nausée » est-elle
juste dans ma tête ?
Elle
est partout dessus ! Et même, si on avait pu l’appeler
« l’Être et le Néant », on l’aurait fait, mais
curieusement c’était déjà pris. C’est Sartre et Camus à la
fois qui nous ont semblé les plus proches de notre musique, d’où
ce titre qui nous a paru d’une logique implacable.
Q12 :
Cet album dégage un parfum pestilentiel de mort et de mélancolie
extrême telle qu'on l'a peu ressenti. Etiez vous conscients en le
sortant d'avoir franchi un seuil ?
Nous
avions conscience d’avoir ramené une bonne dose de l’agressivité
originelle du groupe dans cet album, tout en ayant été plus loin
dans la noirceur. Après, cette évolution est peut-être moins
frappante pour nous, qui sommes à l’intérieur et faisons évoluer
notre musique à petites touches, que pour ceux qui voient le
résultat final leur arriver aux oreilles après quelques années
d’attentes. Pour nous il s’agit de choses digérées et intégrées
en fait.
Cet album respire le Death Metal, encore plus que les autres. Ce
genre particulier vous permet il d'exposer davantage votre propos ?
Disons
que les étiquettes stylistiques portent avec elles certains états
d’esprits. Le Death Metal étant une forme d’évolution du thrash
metal, j’y voit de base une certaine rage maîtrisée et très
intense, teintée d’une obscurité propre à la lourdeur qu’a
rajouté ce style au propos thrash. Bref : C’est tout à fait
dans l’esprit d’Ataraxie, et c’est une influence majeure. En
juxtaposition avec les parties les plus lentes et les plus sombres,
le Death Metal nous permet d’apporter bien plus d’impact à notre
message musical.
Quel impact cette musique a sur votre vie ? Et vice-versa !
Là
on va parler paradoxes : sans vouloir trop nous étaler sur
notre vite privée, la musique d’Ataraxie a, pour la plupart
d’entre nous, apporté bonheur conjugal et même progéniture !
D’autre
part, comme je le disais plus haut, notre musique est une catharsis.
Nous expions notre côté sombre en le transformant en musique. Nul
doute que la plupart d’entre nous ne seraient pas des gens aussi
posés et avenants si nous n’avions pas cette musique en nous.
Résignés,
paru cette année a mis 6 ans à arriver sur nos platines. A quoi
est-ce dû ?
Début
2014, quelques mois après la sortie de l’Être et la Nausée,
Sylvain qui est un des membres fondateurs du groupe ne se sentait
plus de continuer, trop pris par ses obligations familiales et
professionnelles.
Nous
avons dû nous résigner à lui chercher un remplaçant, et conduit
des auditions. A la fin, deux candidats se tenaient la corde :
Hugo que nous connaissions de Fatum Elisum, capable de jouer les
parties de Sylvain à la perfection. Et Julien, que nous connaissions
de Hyadningar, qui lui avait apporté une touche très personnelle à
ces mêmes chansons, que nous avions trouvé très intéressante.
Deux excellents guitaristes, qui s’étaient offert le luxe en plus
de moins se planter que moi lors des auditions ! Alors
finalement il a été évident de ne pas choisir, de décider
qu’Ataraxie allait devoir se réinventer pour devenir un groupe à
trois guitares.
Ce
qui fut fait pendant l’année 2014, quasi intégralement dédiée
aux concerts, ce qui nous a permis aussi de prendre nos marques à
trois guitaristes, en réarrangeant les vieux titres pour la scène,
et en apprenant à jouer tous ensemble jusqu’à revenir à un
niveau d’interaction entre nous tous qui puisse être comparable au
niveau que nous avions développé au cours de ces 13 années à
jouer avec Sylvain.
L’écriture
de l’album a ensuite commencé, courant 2015, et une petite
interruption pour s’occuper de la reprise de disEMBOWELMENT
présente sur la réédition de Slow Transcending Agony, mais qui
était aussi un bon moyen de se tester à trois guitaristes en
environnement de studio.
A
la fin 2015, deux chansons étaient prêtes, avec une seule déjà
« bullet proof » pour le live.
Début
2016, nous avons refait une belle série de concerts, avec la tournée
commune « still no spring » en février avec Majestic
Downfall et Ophis, puis une première partie de Moonspell et deux
festivals, à Londres puis Bucarest. Quand nous ne préparions pas le
live, nous composions la suite de l’album…
En
2017, nous avons finalisé les titres de l’album, puis attaqué la
phase dite de « préproduction » de l’album, tout en
trouvant le temps d’aller jouer au fond de l’est de l’allemagne
pour l’excellent festival « In Flammen ». Nous avons
donc enregistré une démo en live de l’album, puis mis au point
tout un tas de détails pour finalement rentrer en studio courant
novembre pour faire la batterie.
La
première moitié de 2018 a été entièrement consacrée à
l’enregistrement de l’album, à son mixage et au mastering.
Quand
au temps qui nous a séparé de la fin de l’enregistrement de la
sortie ce mois de mars de l’album, il est surtout dû au fait que
pour cet album, nous avons conjuré un conglomérat de trois labels,
nous permettant une distribution mondiale et sur tous les supports…
et mine de rien, fabriquer un vynile puis l’exporter, demande
aujourd’hui un délai important. Ce qui nous amène à mars 2019 !
Je vais me répéter, mais j'ai l'impression que ce disque va encore
plus loin dans la douleur (tout en la rendant belle)...Etes vous
d'accord ?
Le
fait d’être à trois guitares n’y est pas étranger, parce que
la dynamique que permet cette combinaison nous permet d’apporter
beaucoup plus de force à la musique quand nous jouons à l’unisson,
et plus de mélodie (et de complexité mélodique) quand nous jouons
des parties séparées. Nous n’allions donc pas nous priver de
pousser notre musique dans de plus amples retranchements n’est ce
pas ?
Et
puis en parallèle… tu as vu l’évolution du monde depuis 2013 et
la sortie de L’Être et la Nausée ? Comment ne pas nous
nourrir de ce flot de choses négtives qui gagne chaque jour un peu
plus l’humanité ? Nous avons juste fait l’album qui
correspond à notre époque.
Jusqu'ou allez vous aller ? Un disque insupportable (et génial)
comme peut l'être MORT de Blut Aus Nord ?
Comme
le dirait l’un des plus grands sages de notre temps, « Je met
les pieds où je veux, et c’est souvent dans la gueule ».
Sincèrement, c’est bien trop tôt pour le dire… On aimerait
juste que moins de temps ne s’écoule entre les albums, mais je ne
sais même pas si on saurait y arriver.
Prochaine étape ? (suite de la question précédente)
« La
guerre… la guerre ne meurt jamais » (d’autres philosophes).
On repart pour un cycle de concerts, de composition,
d’enregistrement, et tant qu’on a l’envie et l’inspiration,
on continuera ainsi je pense. A court terme il y aura une nouvelle
vidéo, suivie des 4 concerts inauguraux de l’album (où il sera
joué en intégralité), puis un peu plus tard une tournée, ce qui
devrait nous amener à 2020 et aux 20 ans du groupe avant qu’on ai
eu le temps de s’en apercevoir.
Vos 20 albums préférés de tous les temps ?
Sans
ordre particulier :
-
Black Sabbath – Black Sabbath
-
Evoken – Quietus
-
Metallica – Master of Puppets
-
Morbid Angel - Domination
-
Indesinence – Vessels of light and decay
-
Candlemass – Epicus Doomicus Metallicus
-
Bolt Thrower – the fourth crusade
-
Celtic Frost - Monotheist
-
Autopsy – Mental Funeral
-
Bethlehem – Dictius Te Necare
-
Winter – Into Darkness / Eternal Frost
-
Led Zeppelin – Physical Graffiti
-
Iron Maiden - Powerslave
-
Deinonychus - Mournument
-
Mournful Congregation – The monad of creation
-
Kyuss – Welcome to sky valley
-
Cathedral – Forest of Equilibrium
-
Obituary – Cause of Death
-
My Dying Bride – Turn Loose the Swans
-
disEMBOWELMENT – Transcendence into the Peripheral
Vos livres préférés (enfin des lecteurs!)
-
Tout le cycle du disque monde (Terry Pratchett)
-
La route (Cormack Mac Carthy)
-
L’étranger (Albert Camus)
-
La métamorphose (Frantz Kafka)
-
Huis Clos (Jean-Paul Sartre)
-
J’irai cracher sur vos tombes (Vernon Sullivan / Boris Vian)
-
L’écume des jours (Boris Vian)
-
1984 (Georges Orwell)
-
Au revoir là haut (Pierre Lemaitre)
-
How to make your guitar play great (Dan Erlewine)
Si Ataraxie devait être une citation, un proverbe ?
« Nihil
Verum Nisi Mors » (on aurait tellement voulu l’inventer
celle-ci !
Espace libre : ajoutez ce que vous voulez !
« Conan,
What’s good in life ?
-
Crush your enemies, see them driven before you, hear the lamentation
of their women »