Entretien avec Kaelig Cornec
Bonjour Kaelig, peux tu nous présenter ETNA ?
Bonjour Pierre. J’ai commencé Etna fin 2010 avec un ami batteur. On venait de quitter tous les deux un groupe de thrash et j’avais envie de faire une musique sans compromis, sans limite de durée, sans parole, sans chant, sans égo de guitaristes et de chanteur, sans concert. On a mis 4 ans à accoucher d’un premier effort, l’éponyme de 7 titres « Etna » et puis la vie faisant, le projet a végété quelques années, avec la maquette bien avancée de « II » qui dormait dans un coin. Je suis passé en mode solo en 2017 et je me suis enfin relancé à enregistrer un second album à l’automne 2018 (dont le second titre apparait sur la compil du webzine de la Légion Underground, https://lalegionunderground.bandcamp.com/album/we-are-legion-3 ), avec un troisième dans la foulée, composé et enregistré en un mois, intitulé « Fides ». Au fil du temps, la musique est devenue de plus en plus atmosphérique, éthérée, lente et longue.
D'où t'es venu ce goût pour l'ambient doom ?
Ça s’est fait au fil du temps. Tout petit, j’ai très vite écouté de la musique « de grand » et à 4-5 ans, j’avais scotché sur le 33T de « Tubular Bells » d’Oldfield qui m’attirait et me troublait à la fois par l’étrangeté du logo Virgin de l’époque avec cette femme et ce dragon entremêlés mais aussi et surtout par les longues plages audio qui développaient une succession de thèmes (sur la seconde piste où Mike utilise une voix pitchée pour proférer des propos incompréhensibles, mes frère et sœur me disaient que c’était le diable qui parlait, ce qui m’intriguait assez).
Collégien, je suis tombé dans le metal extrême au milieu des 90’s d’une part en achetant un peu au pif un Metallian (à l’époque, pour 15 francs avec un mag rempli de noms m’étant inconnus, un sampler et un catalogue, c’était tentant, plutôt que 30 francs le Hard Force avec les sempiternels groupes de tête de gondole, uhuh ) et d’autre part en écoutant une émission de radio locale (le Looping Wild Show) à la programmation orientée majoritairement death metal. De fil en aiguille, j’ai englouti les vieux Type O Negative, Paradise Lost, Septic Flesh, Tristitia, On Thorns I lay, God Forsaken, My Dying Bride, Misericordia, puis quelques années plus tard Shape Of Despair, Evoken, (qui sont aujourd’hui deux des groupes dont la musique se rapproche le plus de l’hémisphère doom d’Etna) Monarch, et cas à part, Sunn qui m’a permis de basculer vers le drone/ambient et découvrir un autre univers, moins oppressant à travers des artistes tels que Stars Of The Lid, Dirk Serries, A Winged Victory For The Sullen, Oren Ambarchi.
Je pense aussi que la scène dérivée de Neurosis, notamment aux Amenra, Bagarre Générale, Overmars, Dirge et Year Of No Light qui n’ont pas été sans effet.
En parallèle, j’écoutais (et j’écoute toujours) beaucoup de black et de death metal mais l’envie de jouer une musique plus lente et lourde s’est faite naturellement. J’avais envie de prendre le temps de jouer et d’écouter de la musique plus « aérée ».
As tu joué dans des groupes avant ?
J’ai modestement débuté comme plein de gamins, dans la piaule d’un ami fraîchement batteur, à faire du bruit. C’était en 1999, j’avais une basse, une pédale Boss HM2 « tout à 11 » et au final, on essayait de jouer une sorte de death bas du front en s’enregistrant sur un poste K7 Philips exhumé des années 80.
Ensuite, de 2002 à janvier 2006, j’ai bricolé un projet electronica expé que j’avais appelé The Throat On Fire (https://thethroatonfire.bandcamp.com/ ), où je faisais du collage sonore et aussi où j’ai commencé à développer des titres à rallonge avec des atmosphères qui se succèdent. J’écoutais à l’époque beaucoup Ulver, Brian Eno je découvrais Autechre, Steve Reich, Philip Glass; c’était amusant de bidouiller de la musique sur PC, un peu en mode autiste. Ça a duré 3 ans.
Au printemps 2006, l’ami batteur avec qui je « jammais » à mes débuts, me propose un poste de bassiste dans un groupe de thrash local qui existe toujours, Malkavian. Avec eux j’ai enregistré 1 demo et un EP, fait plusieurs concerts et au bout de 4 ans, j’ai claqué la porte à tout ça, un peu frustré de composer « pour le live » pour au final, jouer live dans des endroits où tu t’entends pas, devant un public qui n’entend rien aux riffs que tu t’entête à jouer et de devoir batailler pour qu’on entende ta basse sur scène comme sur disque (le fameux syndrome And Justice for all…)
Enfin en 2012, mon frère me présente un ami qui avait envie de faire du drone ambient. On avait des influences en commun et on s’est lancé, lui à la guitare et moi à la basse, sous le nom de Marignan 1515 (https://marignan1515.bandcamp.com/) Au début, on (enfin surtout moi car j’avais l’impression de repartir complètement de zéro, c’était la première fois que j’enregistrais en improvisant) y allait en tâtonnant, jouant à très fort volume. Puis mon acolyte est devenu papa, s’est mis en retrait et j’ai poursuivi l’aventure tout seul au bout d’à peine un an. Je suis passé alors de la basse à la guitare, enregistrant en une prise ce que je jouais live en pianotant simultanément avec mes pieds sur mon pedalboard. J’ai enregistré « au km » pendant 3 ans environ 6h de musique et puis j’ai mis ça en pause. Mais finalement c’est cette dernière expérience musicale qui a le plus contribué à ce qu’est Etna. Ca m’a permis de prendre goût à l’empilage sonore, au traitement du signal et aussi à la simplification de l’écriture.
Ta musique est paisible, contraste de ténèbres et de lumière. Quels sont les sentiments et idées que tu souhaites exprimer ?
Je ne sais pas vraiment. Il n’y a pas de ténèbres sans lumière alors je suppose que pour avoir du relief dans une composition, je fais en sorte de varier les climats au gré des passages. Je compose essentiellement au km, via le logiciel guitarpro et je me laisse guider pas à pas, puis en réécoutant encore et encore ce qui a été tablé pour voir si ça me parait cohérent, pour enfin passer à l’enregistrement.
Après, je suis quelqu’un d’assez introverti, placide et les affres de la vie ne sont pas toujours faciles à encaisser alors je présume que je « purge » un peu tout ça pour en faire des morceaux. La musique est souvent cathartique après tout, qu’on l’écoute ou qu’on la joue et j’imagine que ça doit retranscrire ce que j’ai pu traverser, de négatif comme de positif.
Pourquoi « ETNA » ?
Je n’avais pas envie d’un nom qui fasse « metal », mais plutôt d’un nom qui suggère un caractère massif (l’empilement de couches de guitares et de basses) et naturel (les conditions amateures d’enregistrement). Et puis je dois l’avouer, le titre d’ouverture du split album entre Sunn et Boris, bien nommé Etna (tiens tiens tiens), a dû me mettre une claque suffisamment grande pour me souffler discrètement l’idée à l’oreille. Rétrospectivement, je trouve étrangement le nom plutôt bien trouvé car ce projet a en presque 10 ans, alterné les phases d’activité et de sommeil, un peu comme le volcan.
Déjà trois sorties en un an. C'est l'avantage du « one man band ». Envisages tu de continuer ainsi ?
En
fait, c’est plutôt deux sorties. « Ascension » n’était à la base
qu’une reprise de Dead Can Dance où je m’amusais à transposer ce titre cher à
mon cœur dans mon registre tout en testant une autre formule de textures de
guitares et de basses. Je l’ai ensuite greffée à « Fides » qui a été
façonné dans la foulée.
Dans
l’immédiat, j’avais envisagé de revenir à Etna plus tard, au moins dans un an
pour me laisser le temps d’écouter ce que j’avais récemment enregistré. Tout ça
m’avait donné envie de relancer pour l’instant Marignan1515 avec deux
projets : deux reprises, une de Burzum et une d’Ulver pour me remettre
dans le bain et ensuite enregistrer des improvisations avec une nouvelle direction
(mixer le drone ambient avec la surf music ou encore le garage – en tout cas
rajouter une couleur sixties - mais ça se trouve ça va sonner dégueulasse,
ahah).
J’envisageais
en parallèle de monter un projet avec mon épouse mais reste à définir la
direction.
Au final, je n’ai pas avancé sur tout ça et dans l’intervalle, j’ai à ma grande
surprise, composé du nouveau matériel pour Etna au cours du mois de mars.
Peut-être que d’avoir pris confiance en moi et aussi de l’aisance dans la
programmation de la BAR, avec une signature sonore qui me plait a accéléré les
choses.
Je le publierai pour le courant du mois d’avril, 4 titres pour 40 minutes de
musique, toujours plus ambiante (et avec plus de pains je le crains, mon faible
niveau n’instrumentiste ne s’étant pas amélioré pour 2019).
Je crois que l’écoute d’Asva a eu une influence sur mon écriture car j’ai
rajouté cette fois ci des arrangements d’orgue et de cordes.
Du
coup, moi qui envisageais plutôt l’idée de laisser reposer les choses, les
digérer, prendre le temps de justement prendre le temps, eh bien la vie prends
parfois une autre direction. Je ne sais donc pas du tout si je vais continuer
sur un rythme d’un enregistrement par trimestre.
Nantes a t'elle une scène Doom en développement ? Et si oui, peux tu nous citer quelques noms ?
Je ne suis plus très au fait de ce qu’il se passe dans la scène locale. Je suis peu à peu devenu hermétique à tout ce milieu que je vois comme une société bis assez stérile. Je préfère donc rester en retrait et je dois t’avouer que je suis de plus en plus en mode vieux con finalement, à bricoler ma musique dans mon coin et à écouter plus de vieux disques que de sorties récentes.
J’ai juste en mémoire le groupe Lux Incerta qui fait un doom à la My Dying Bride mais c’est tout.
J'ai trouvé ta musique très cinématographique. Es tu influencé par les musiques de films ?
Probable oui. Sur le premier album éponyme d’Etna, j’avais d’ailleurs repris une composition de Lalo Schifrin qui figurait dans la bande originale de L’inspecteur Harry (https://etna.bandcamp.com/track/vi ). On est loin des sphères metal mais la mélancolie qui ressortait de ce court titre m’avait marqué au point d’en faire une relecture plus « grasse ».
J’aime beaucoup et suis très sensible aux bandes sons signées par Ulver, Cliff Martinez et Popol Vuh, les deux premières étant vaporeuses, les dernières plutôt mystiques. Et puis j’avais il y a quelques années vu au ciné une copie restaurée de Koyaanisqatsi de Reggio/Fricke avec la musique signée Philip Glass et pour moi ce truc est juste le vidéoclip le plus intense au monde.
J’ajouterais Tindersticks avec leur projet de bande son d’exposition sur la grande guerre, Ypres, dont la tristesse est d’une profondeur assez éprouvante, que j’ai découvert en 2014.
Mais de manière générale, j’aime bien le fait composer de la musique suffisamment abstraite (pas de texte, pas de concept) pour que ça puisse laisser le champ libre à l’évocation d’images et/ou de sentiments, sensations à chacun.
Peux tu nous citer tes 20 albums préférés de tous les temps dans tous les styles ?
Alors, dans le désordre le plus total:
-Dead Can Dance – Spleen & Ideal
-Type O Negative – October Rust
-Matt Elliott – Drinking Songs
-The Beach Boys – Pet Sounds
-Septic Flesh – Esoptron
-Waltari – Yeah !Yeah !Die !Die !Death metal symphony in deep C
-Blut Aus Nord – The Work Wich Transforms God
-Sunn – White 1
-Depeche Mode – Black Celebration
-Burzum – Filosofem
-Paradise Lost – Gothic
-Bathory – Blood On Ice
-Tristitia - Crucidiction
-Neurosis – Times Of Grace
-The Cure - Pornography
-Ulver – Lyckantropen themes
-Nick Cave and The Bad Seeds - Skeleton Tree
-A Winged Victory for the Sullen – S/T
-Mayhem – Wolf’s Lair Abyss
-Pantera – The Great Southern Trendkill
Si Etna était un proverbe ou une citation ?
Less is more.
Des concerts en vue avec des musiciens ou Etna va t'il rester tapi dans l'ombre ?
Etna restera un projet studio et solo, fait de bricolages, approximations, pains, toujours sans mixage, sans mastering, sans label, sans promo.
A la rigueur, pour Marignan, j’aimerais bien passer le cap en live quand je me sentirai suffisamment à l’aise pour ne pas me planter en pleine prise live, eh eh.
Quelle est ta vision de notre monde ? De l'humanité ?
N’ayant
plus la télévision depuis quelques années, je pense déjà m’épargner une bonne
part d’anxiogène et de conneries et de fait, j’ai choisi de me couper un peu
plus du monde environnant. Je présume que ça doit pas être folichon, du peu
qu’il me parvient par le prisme d’internet.
Rien que pour la sphère metal, cette moralisatisation et cette marotte de la
professionnalisation comme une fin en soi de la scène me fatigue. Entre les vegans
arrivistes et les antifa qui jouent aux
Social Justice Warriors de bac à sable ou encore le moindre clampin qui sort de
la MAI ou du conservatoire, qui s’offusque parce que son groupe de 34ème
zone n’a pas des cachets qu’il estime décents après 10 ans d’existence et qui
jette l’opprobre sur le DIY jugé alors comme toxique… Je trouve qu’on perd
l’essentiel de vue et que tout ça manque un peu de spontanéité et de modestie.
Quartier libre : dis ce que tu veux, comme tu le veux, de la longueur que tu veux !
Je te remercie Pierre pour l’intérêt, le temps et l’écoute attentive que tu as portés à ma musique, aussi confidentielle soit elle. J’ai plaisir à suivre les publications de ton webzine, notamment celles plus rétrospectives où l’on replonge dans la nostalgie des 90’s.
Merci Kaelig !