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De Drakonhail à Sale Freux, rencontre avec Dunkel - Le Scribe du Rock - Juin 2020
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Au fur et à mesure de l'avancée de ce siècle maudit et abandonné du cosmos Sale Freux est devenu une légende et une influence pour des dizaines de groupes de Black Metal français et étrangers. J'avoue être assez fier de cet entretien avec Dunkel, où nous revenons aux origines du groupe, évoquons ses différents projets et activités. Nous parlons aussi fauconnerie, collection de plumes, dans ce qui est davantage un récit, selon les mots du corbeau lui-même, qu'une interview classique. Assurément Dunkel nous livre ici une rareté, lui plus familier des ombres que des médias. Profitez-en pour faite plus ample connaissance avec cet individu singulier et talentueux.
"Le Black Metal, c’est faire face à la mort, aller toujours plus loin et de manière la plus extrême. Oui, on peut affirmer que le Black Metal est la musique de la mort, ou plutôt la prise de conscience de notre mortalité" (Dunkel)
Bonjour Dunkel, bienvenue dans la caverne du Scribe, et merci de répondre à mes questions... Je te propose un voyage rétrospectif dans ton oeuvre, en essayant d'être le plus complet possible...Voici ma première question : On te connait pour tes diverses créatures musicales, à commencer par Sale Freux bien entendu, mais j'aimerais commencer par évoquer Saatkrähe, que l'on peut qualifier d'ancêtre de Sale Freux, et que tu débutes en 2004 je crois... Peux-tu nous parler de ce premier corbeau dans ton histoire musicale ?
Salü !
Note préliminaire : Par soucis autobiographique, je vais devoir apporter des précisions relatives à mon parcours musical. Certaines informations sont erronées, je me permets de les rectifier. Je vais aussi prendre soin d’illustrer cet entretien par des instants phares de ma vie, qui ont tous eu une influence sur mes principaux projets en matière de Black Metal.
C’est à l’automne 2004 en Allemagne, dans la campagne de Rust, que l’aventure commence lorsque j’ai pondu l’idée de Saatkrähe. J’étais artiste fauconnier et après deux saisons (2002 et 2003) passées à Provins, cette année-là j’exerçais à Europapark. Passionné des oiseaux, je passais mes journées de congé à pister les corneilles noires et corbeaux freux qui occupaient les champs des alentours afin de les observer, de recueillir leurs plumes et d’en faire la collection. Cette activité bucolique m’a ensuite suivi toute ma vie jusqu’aujourd’hui encore. J’ai d’ailleurs récemment découvert un lieu infesté de dortoirs à corbeaux freux et corneilles noires. J’ai ainsi pu entamer une nouvelle collection de plumes. Depuis l’année passée j’en ai récolté 405 dont 44 furent utilisées pour cette édition spéciale : https://www.youtube.com/watch?v=UA9QMgESBww
Au même titre que les migrations, les plumes sont sacrées. Car plus que de simples plumes, elles sont la mue de l’oiseau (rappel : un oiseau mue entièrement chaque année au printemps). Elles témoignent des saisons, d’un cycle, d’un recommencement, de la vie et du temps qui passe. J’ai alors choisi d’honorer ces corvidés en donnant un de leur patronyme à mon futur projet musical. J’ai d’abord pensé à Nebelkrähe, la corneille noire, mais j’ai finalement choisi le corbeau freux, Saatkrähe, en raison de son aspect plus répugnant et son mode de vie plus grégaire et autant farouche que proche de l’homme. Ce volatile niche aussi bien dans les champs qu’en pleine ville, ce qui lui vaut d’ailleurs d’être souvent considéré comme paria des oiseaux, faute à ses croassements éraillés notamment en période de reproduction et de nourrissage des oisillons. L’idée embryonnaire de départ était d’interpréter un Black Metal traditionnel imprégné de mort et guidé par ma haine viscérale de l’humanité. Des concepts aisément abordables à ce moment-là mais la mort de mes deux choucas en mars 2005 m’a intensément affecté et a largement influencé mon travail de composition. Alors fixé à Montfort-sur-Meu puis Beignon, s’en suivirent en leur honneur deux années de création funéraire, effrénée, maladive, impulsive, soutenue par mes errances champêtres, le mauvais temps breton quasi quotidien, et mon anti-humanité toujours sans faille. Musicalement, je voulais m’épanouir par le biais d’un Black Metal crade, ultra sombre, plus abrupt que la voie entamée avec Drakonhail jusqu’à lors. On peut voir tout mon travail avec Saatkrähe durant ces deux années 2005 et 2006 comme des ébauches de ce qui deviendra plus tard Sale Freux, l’envol un peu gauche d’un corbeau juvénile, un cahier de brouillon aussi embrumé que la musique.
361 plumes de corbeaux freux et corneilles noires récoltées à la main en 2019 et 2020. |
En 2005, avec Saatkrähe, tu produis une première démo, Breathes of Knowledge où l'on entend déjà ton croassement macabre. Chant en anglais, atmosphère mélancolique et brumeuse, références à la Transylvanie, on sentait encore le vent du nord de l'Europe dans ta musique. Quels sont les groupes qui t'ont le plus marqué à tes débuts, et qui t'ont amené à faire cette musique ?
La première démonstration de Saatkrähe est My Tomb. Elle date de mars 2005. Breathes of Knowledge fût mis en œuvre en août de la même année. Il s’agit d’un morceau isolé d’une durée de dix minutes.
À mes débuts, je parle de l’année ou je me suis initié seul au Black Metal à seize ans, je citerais sans réfléchir les groupes suivants comme étant ceux qui m’ont le plus marqué : Burzum, Nargaroth, Veles et Nehëmah. Il y en a bien d’autres mais ces quatre-là m’ont le plus traumatisé. En ce qui concerne Nehëmah, ils ont tout bonnement accouché du meilleur album de Black tout pays et toutes époques confondus : Light of a Dead Star. En plus d’être l’un des artisans vocalistes les plus doués en la matière, Corven à prit le meilleur du Black Metal scandinave des années 90, il a mixé le tout en y ajoutant sa patte, et d’un coup Mayhem, Darkthrone, Gorgoroth, Bathory, Burzum et tout les autres se retrouvent écrasés sous sa botte et la scène norvégienne parait alors bien fade. L’année de sa sortie, je mettais un point d’honneur à n’écouter cet album qu’en forêt. Sans Nehëmah, le Black Metal serait une enveloppe vide. Pour les autres influences musicales que je ne cache pas, qu’elles soient flagrantes ou pas, il y a Akerbeltz, Darkthrone de Panzerfaust, les Deathspell Omega avec Shaxul au chant, Armagedda, Graven, Hate Forest, Judas Iscariot, Necrofrost, Moonblood, Forest, Branikald, Warloghe, Gorgoroth jusqu’à Destroyer, Dark Opus...
Après une longue série de démos, tu boucles l'aventure Saatkrähe avec une dernière sortie en 2010, To The French Fields Of Inspiration. Un son particulièrement brumeux et sale, une réverbération qui noie la musique, et cette voix de corbeau qui vient hanter les notes. D'où vient ce goût pour ces sonorités particulièrement crues ? Et, tant que nous y sommes, Saatkrähe signifiant (déjà) corbeau en langue germanique, d'où vient cette obsession du corbeau ? Que symbolise-t-il pour toi ?
Avant-propos de l’anthologie de Saatkrähe, Fientes, rédigé en septembre 2017 :
« Appréhendons l’existence de Saatkrähe comme un apprentissage complexe face à l’Art Noir musical qu’est le Black Metal, tout comme le corbeau le ferait instinctivement avec sa propre vie à l’état naturel. Appréhendons ensemble l’éphémère mais intense existence de Saatkrähe comme celle d’un corbeau juvénile qui survole en solitaire - un peu maladroit mais volontaire, aussi craintif qu’alerte - le monde des humains. Tâchons de le pister pendant deux années, deux mues, et d’en recueillir les plumes; hasardons nous à comprendre sa manière d’évoluer, son adaptation dans son environnement; tentons de capturer sa conscience, d’aller au-delà, d’égailler sa curiosité, de capter son attention, de toucher son esprit, de flatter son ego, de l’amadouer, de s’imprégner de son aura et s’asseoir dans ses fientes, se poser sur son aire, à ses côtés, sous son aile, qu’il s’acclimate de notre présence, et plongeons nos yeux dans le noir de son regard... plus près... et s’en inspirer... Effleurons son corps, caressons ses plumes, respirons ses odeurs, dégustons ses fientes, buvons sa salive, entrons dans son univers et considérons sa clairvoyance... Entendons alors, sortir des becs grands ouverts des grands corbeaux alentours, les chants secs et éraillés qui font écho sur la plaine... Entendons encore, les sons quitter par milliers ces rostres noirs et saillants retentir dans l’auguste crépuscule. La campagne vibre, elle appartient aux corbeaux. Des aires où ils dorment en amont du champ des morts jusqu’aux repaires que les airs de Saatkrähe réverbèrent et nous évoquent : Les bois hantés d’arbres gémissants, maculés de leurs fientes ; la clairière qui craque dans le crépuscule car le vent se lève, puis dans la nuit car le givre se répand ; le vieux cimetière aux ruines béantes, habité par les formes disparates des monuments aux morts, où suintent les vapeurs marécageuses… C’est l’heure des fantômes ! Errons ainsi entre la brume et la plaine, dans cet environnement néfaste, plus néfaste que l’oiseau noir fût lui-même jugé nuisible par l’Homme. Introduisons ce tableau aussi fantastique que naturel et écoutons-en l’ambiance sonore... Alors, n’entendez-vous pas dans le lointain, avec la brise glaciale et le brouillard qui rampent sur la plaine, les sons aussi opaques que déchirants de la musique de Saatkrähe ? Définitivement, les conditions les mieux adaptées pour vivre la musique de Saatkrähe sont de partir seul à l’heure ou brunit la campagne, qu’elle soit figée par le givre d’hiver lorsque les vents glacials flagellent ou animée par l’humidité automnale lorsque l’averse s’abat. Qu’importe ! Emporte une stéréo cassette, une bouteille de vin et tes bottes ! Ne regarde pas en arrière, emmerde l’univers et pars sous la pluie, le ciel voilé de nuages ou parsemé d’étoiles. Va ! Fais halte sur la colline, au milieu de la clairière... Tu verras que... Mêlée à l’obscurité et aux chats-huants, en symbiose avec l’atmosphère et les éléments du crépuscule, là se dévoilera l’aura véritable de Saatkrähe. »
Épuisé par tant d’envols, Saatkrähe à dû se poser un moment aux alentours de l’automne 2006. To the French Fields of Inspiration est une cassette qui regroupe des enregistrements de 2006, prévus à l’époque pour un split avec Liturgie et Anwynn. Split avorté, c’est a posteriori que je publie clandestinement ces morceaux en même temps que On the Forgotten Paths of the Ravenlands (compilation de morceaux extraits de démonstrations 2005), Black Underground Funeral (version écourtée de la démo L’arbre mort 2005) et Les corbeaux de mes funérailles (2006) qui était prévu tel que le premier véritable album de Saatkrähe, initialement intitulé Ma tombe. Ces quatre cassettes sont officiellement sorties en janvier 2010 et exclusivement distribuées par Dernier Bastion un peu plus tard.
Le Black Metal, c’est faire face à la mort, aller toujours plus loin et de manière la plus extrême. Oui, on peut affirmer que le Black Metal est la musique de la mort, ou plutôt la prise de conscience de notre mortalité. On ne peut pas le prendre à la légère. La mort n’est pas drôle. Il faut être plus sale et sinistre que jamais, créer des atmosphères spectrales qui puent le cimetière de campagne, abandonné et hanté. Ses sonorités fondamentales doivent soutenir les ambiances malsaines d’un Black Metal cru, nihiliste, minimaliste, oppressant, lancinant, répétitif, monotone, opaque, funèbre, sépulcrale, qui révèrbère et fait écho dans les ténèbres comme pour avoir une discussion avec elles.
Il n’y a aucun symbole à chercher vis-à-vis du corbeau. Quand on grandit à la campagne, les corbeaux font partie de notre quotidien. On les entend du levant au couchant. Au crépuscule, ils laissent place aux chats-huants. Ces oiseaux me passionnent et cette passion fût décuplée grâce à la fauconnerie. Ils sont devenus toute ma vie. Ils incarnent mon Black Metal, ils guident mes pas, désignent la direction de mon sentier et je leur fais honneur en interprétant et leur dédiant de l’opacité funèbre de ma musique.
https://www.youtube.com/watch?v=2UGq7YU8NRE
Sale Freux va prendre le relais de Saatkrähe en 2010, mais tu avais également pris part à l'aventure Breizh Occult, un “vrai groupe” entre 2004 et 2006. Peux-tu nous dire quels souvenirs tu gardes de cette expérience ?
Nouvelle précision : Saatkrähe est devenu Sale Freux lors de sa quatrième mue en mars 2008.
Les années Breizh Occult sont plutôt anecdotiques mais j’en garde un excellent souvenir, même si leur musique n’était pas spécialement ma tasse de thé. J’ai passé de très bons moments avec des compatriotes bretons et ça m’a aussi permis d’acquérir de l’expérience à la basse dans la prestation scénique, de même avec Celestia en 2008-2009.
Sale Freux, donc, ce corbeau maléfique... T'attendais-tu en quelques années à ce que ton Freux devienne une telle référence dans l'underground ? À être autant cité en référence (et copié) par tant de jeunes groupes ?
Non et je m’en fous. Je ne suis qu’un fier porteur de la flamme noire souterraine. Restons humble.
Avec Sale Freux, tu nous offres le splendide Subterraneus dès 2010. Un opus majestueux, d'une grande mélancolie, ce qui va devenir une constante dans ta musique. Tu optes alors pour le chant en français. Est-ce dans le but de mieux faire passer un message ?
Subterraneus est apparu au public en 2010 mais Mortuailes est le premier album de Sale Freux. Il était annoncé chez Drakkar Productions en 2009, avant Subterraneus donc, mais les types voulaient que je le réenregistre en entier car le son ne leur convenait pas. Était-il peut-être trop sale, trop poussiéreux ? Ces craquements liés à la sortie jack de ma basse, volontairement conservés, n’étaient pas acceptables pour eux non plus. Le visuel tout en noir et blanc n’était pas à leur goût. Ils souhaitaient sûrement y foutre des dorures de merde. Le titre Necropedophilia allait droit à la censure. J’ai donc annulé la sortie de Mortuailes et Subterraneus est venu l’éclipser. Jamais publié jusque alors, Mortuailes fût jugé comme une maquette, ce qui s’explique aussi par le fait que je lui ai finalement offert une seconde vie avec La mélancolie des pennes en 2011.
Début 2008, cela faisait plus d’un an que je ne composais plus pour Saatkrähe. J’ai voulu en quelque sorte reprendre à zéro avec plus de réflexion et de maturité. Je me suis donc efforcé à écrire et chanter en français parce que je savais à quel point il est difficile d’utiliser cette langue correctement dans le Black Metal. Qui n’a jamais constaté à quel point la plupart des groupes ont l’air niais à l’oreille de l’auditeur francophone lorsque on saisit le tréfonds de leur pensée ? J’avais conscience que ça me pousserait à mieux analyser et travailler les compositions et les textes car ils doivent être complémentaires. Par conséquent, ça me donnait une ligne de conduite sans compromis quant à l’évolution de ma musique. Si j’avais voulu faire passer un message, j’aurais choisi l’anglais.
Tu incarnes alors un Black Metal crasseux et noir, ne cherchant pas la séduction facile. Cette tristesse omniprésente a-t-elle des fondements autobiographiques ?
Une tristesse générale face à l’incapacité de l’humanité à s’adapter au monde qui, en fait, appartient à la nature. Une tristesse personnelle d’avoir perdu des animaux auxquels je tenais, mes deux choucas des tours. Plus tard, des déboires amoureux en veux-tu, en voilà. Je trouve néanmoins que cette tristesse dont tu fais allusion n’est apparue à juste titre qu’à partir de L’exil. Subterraneus est un pur condensé de noirceur et de malveillance.
Ton écriture, particulièrement poétique et littéraire, te permet également de te distinguer rapidement, comment as-tu découvert ce plaisir d'écrire ? As-tu des maîtres ou des inspirateurs en matière littéraire ?
J’ai toujours pris plaisir à écrire, tout et n’importe quoi, de la simple pensée en passant par l’essai de la prose ou juste mes rêves dans un cahier, mais rarement plaisir à lire. La littérature ne m’a jamais harponné. Je m’interdis de le prétendre. J’ai pourtant essayé mais rien n’y fait : peu de livres, aussi agréable l’objet soit-il, ont réussi à me captiver. J’ai parcouru quelques poèmes populaires ci et là (Rimbaud, Hugo, Verlaine, Baudelaire, Lamartine), sans être réellement transcendé. Mais si je devais ne citer qu’un seul écrivain, ce serait Cioran. Lui a réussi à capter chez moi une certaine attention. En ce qui concerne l’écriture de mes textes, ils sont conçus pour être adaptés en musique, donc le plaisir est double : écrire les textes et composer la musique. Accorder les deux, interpréter, puis finalement donner un visuel à tout ça et le plaisir se multiplie : il devient passion.
Déjà avec Saatkrähe, tu avais fondé un label, “Les Créations Clandestines”. Fonder ton propre label, jouer seul la plupart du temps, un farouche désir d'indépendance ?
On n’est jamais mieux servi que par soi-même. Un artiste se doit d’être complet, surtout lorsqu’on parle de cet art individuel qu’est le Black Metal. Cette arrogance, cette fierté de tout composer soi-même est inhérente à l’artiste Black Metal. Je préfère mille fois un groupe qui s’occupe de sa musique de A à Z, qui dessine lui-même avec un résultat tel que celui-ci, un parfait exemple d’une démarche autodidacte jusqu’au boutiste doublé d’un album d’anthologie :
…plutôt qu’un label ou un groupe qui sort mille balles de sa poche pour un graphiste, et on se retrouve avec ce résultat, insulte à l’art dans son entièreté et apothéose du mauvais goût :
Graphiste qu’on m’avait d’ailleurs innocemment proposé pour L’exil. Les gens ne doutent de rien.
La mélancolie des pennes...2011... Autre bien bel album... à cette époque, et plus encore à partir de L'exil, on évoque Sale Freux comme l'un des groupes fondateurs d'un “Black Metal rural” ou “Terroir Black Metal”... Cette appellation en valant d'autres, qu'en penses-tu avec le recul ? Y'avait-il de ta part une forme de revendication d'appartenance à un terroir, une fierté ?
Note ornithologique : La penne est la plume de l’oiseau, du latin penna. C’est aussi un terme propre à la fauconnerie. Nous parlons du « tuyau » de la plume comme du « penne » que nous réparons si l’oiseau vient à se casser une rémige ou une rectrice. On appelle ça « enter » un oiseau.
La mélancolie des pennes est une seconde version de Mortuailes. Une sorte d’expérience absurde afin d’apporter une batterie organique aux compositions. En admettant la pertinence de l’apport du violoncelle vis-à-vis de la volonté funéraire de l’album adapté comme requiem, le résultat est digne d’intérêt. Les prestations vocales des invités lui confectionnent aussi une certaine valeur. Mais il est bien en dessous du minimalisme primaire, de la brume froide, morbide et spectrale qui plane au-dessus de Mortuailes.
Dès les fondations de Saatkrähe en 2004 il y avait dans mon processus de création cette notion de ruralité en opposition à l’urbanisme. Une glorification de la nature se situant aux parfaits antipodes de l’urbanisation intensive, les immeubles et les avenues prenant la place des forêts et des sentiers. Les animaux étant réduit à ne plus emprunter que les faux-fuyants (Terme à juste titre utilisé comme métaphore rurale dans « Freux-fuyant… battant la retraite »). J’ai toujours vécu à la campagne, je n’ai jamais dû aller à elle. Vivre à la ville est inconcevable pour moi. Durant toute mon enfance lorsque je sortais de chez moi, j’étais dans la nature. J’avais l’inspiration au seuil de ma porte. La nature m’a adopté de même que le Black Metal m’a enseigné. J’ai préféré loger dans une minuscule caravane de seconde main sans commodités, posée dans un champ à moutons à l’arrière d’une ferme, et ce pendant trois ans, plutôt que de choisir la facilité confortable d’un studio en ville pas beaucoup plus grand, et de surcroit cinq fois plus onéreux. Hautainement interprétée dans mon Black Metal, cette réalité rurale, sale et ancienne, dont l’esthétique rappelle le tiers-état, les gueux, les trouvères et les sorcières du moyen-âge, fait directement opposition au bourgeois du monde moderne, né à la ville, prenant son automobile pour acheter sa baguette de pain à deux-cents mètres de chez lui. Je suis un galérien, un mercenaire des marais, un aventurier de la gadoue. Je marche des kilomètres à pied, m’embourber à travers champs pour aller à l’épicerie du village suivant, m’offrir une bouteille de vinasse et m’enfuir de plus belle sous l’averse, victorieux d’avoir quinze centimètres de boue sous chaque botte. Cette aura rurale bretonne à toujours été présente dans les textes et compositions de Saatkrähe mais également sur Grisailles… de Drakonhail, paru en 2005. Un album déjà ultra rural, fait pour être écouter en errant dans les pâturages, bouteille en main. Ce contexte d’écoute suggéré par la musique elle-même, par la répétition excessive des riffs accablants, est similaire en ce point à un Geliebte des Regens de Nargaroth. Ce genre de Black monotone chasse l’auditeur urbain par la structure même de la musique. Le black métalleux d’appartement s’ennuie à de telles écoutes lancinantes comme les campagnes. Il préfère un Black Metal bâti comme les immeubles de son quartier, entrainant et rapide comme la vie quotidienne effrénée des villes. Je composais déjà dans ce sens et de ce point de vue, je considère Grisailles… comme une œuvre de Black Metal rural. Cette étiquette de mon cru s’est manifestée en moi, et pour la première fois dans l’univers Black Metal, en 2008 alors que je composais ce qui allait devenir « Rats des champs (Rural Black Metal) ». J’ai conçu cette appellation Rural Black Metal et personne ne l’a mieux défendue que moi.
« La Fuite », caravane/studio et humble demeure de Sale Freux, novembre 2011. |
Beaucoup aussi considèrent Sale Freux comme un des groupes français les plus représentatifs d'un certain Black Metal dépressif, bien qu'il soit aussi qualifié “d'atmosphérique”. Si les étiquettes sont sans doute plus à leur place sur les bocaux d'olives que sur l'art, que penses-tu de ces diverses appellations te concernant ? Es-tu toi-même friand de groupes classés dans ces sous-sous genres ?
Du temps où j’ai connu le Black Metal en 1998, il n’y avait pas tout les sous-genres qui le gangrène de nos jours. Un groupe était qualifié d’atmosphérique dès qu’il utilisait des nappes de synthé comme apport d’une atmosphère plus éthérée, comme par exemple Mundanus Imperium ou Morgul. Si le synthé était utilisé de manière plus orchestrale ou même théâtrale, comme Obtained Enslavement ou Limbonic Art, c’était du Symphonic Black Metal. Aujourd’hui tout est différent. À partir du moment ou un morceau dure plus de sept minutes et qu’il comporte moins de quatre riffs, on considère que c’est de l’atmosphérique. Je ne suis pas d’accord. Est-ce que Burzum était de l’atmosphérique ? Non. C’était du Black Metal point barre et on ne s’emmerdait pas à réfléchir plus loin. Que les morceaux de Filosofem soient répétitifs et durent huit minutes n’en font pas pour autant du Black atmosphérique ou dépressif. Je considère le Black Metal dépressif comme une musique d’adolescent, de youtubeur qui jouent à être tristes et s’exhibent sur internet. En utilisant la même analyse que plus haut, lorsque les premiers Shining et Silencer sont sortis, l’étiquette risible DSBM était encore loin d’être utilisée. On écoutait du Black pessimiste, noir, évoquant un état suicidaire, le tout mixé pour accentuer le malaise musical. Mais la musique ne pleurnichait pas, elle était vraiment malsaine. Avec toute cette mode DSBM, je me contente largement de Make A Change… Kill Yourself, Trist (cz) et les deux premiers Shining. Je ne vois pas en quoi Sale Freux peut être assimilé à cela. Je ne suis pas dépressif, j’aime la vie et j’aime le sang en tant que fluide corporel, pour son esthétique et pour en verser quelques gouttes sur l’humus ou dans mon verre de vin tout aussi écarlate.
Ta musique, peu importe le label qu'on y appose, exprime un profond déchirement de l'âme, une douleur quasiment physique. Pour toi quels sentiments sont à la base de Sale Freux ? Et comment expliques-tu que ce soient de tels sentiments qui priment ?
La mort. La mort. La mort. Il faut le dire trois fois pour plus d’impact. Voilà le concept primordial de Sale Freux, et du Black Metal. Ensuite, Sale Freux a cette inlassable liberté de n’avoir aucune limite, ce qui me permet d’aborder des sujets et des sentiments directement liés à ma vie personnelle, quitte à flirter avec l’exhibition. Mettre ses sentiments en musique est toujours un travail intéressant, initiatique à la connaissance de soi et cathartique. Je n’ai pas vraiment réfléchi au fait que certains sentiments aient une quelconque priorité sur d’autres. J’ai juste tenté d’apporter une qualité inédite tant dans la musique que les textes et au passage, foutre un coup de pied dans la fourmilière Black Metal contemporaine et urbaine.
Avec L'exil tu fais un passage éclair chez La Mesnie Herlequin, le label de Famine de Peste Noire, et ce dernier produit même l'album. Qu'est ce qui a présidé à cette collaboration, et, dans le même ordre d'idées, qu'est ce qui a fait que vous vous êtes brouillés par la suite ? Que penses-tu de cet album (devenu culte) aujourd'hui ?
Brouillé ? Ce n’est pas moi qui ai une tête d’œuf. J’ai encore mes cheveux. Enfin brouillé, je ne sais pas, mais embrouillé, ça c’est clair. Parce que le Black Metal c’est plus trop ça pour certains. L’œuf est devenu clair, infécond. Mais je ne parle pas seulement de l’autre-là qui n’est qu’un pion usé parmi tant d’autres sur l’échiquier de ma vie : j’ai pris la décision de me délester de quasi tout mon entourage. « J’ai coupé les ponts avec le monde… » (Vindilis) et quelle liberté s’offre à moi désormais ! On est mieux seul que mal accompagné. J’ai pris l’haute et hautaine initiative de ne plus donner de nouvelles à personne afin de ne plus côtoyer tout ces individus, rester seul et libre, fuir. La raison ? Faire le tri. Comment ça m’a pris ? Comme une envie de chier. Échec et mat. Collaboration ? Je ne suis pas collabo, pas même résistant. Je ne suis qu’un humble déserteur. On m’a proposé de sortir mon album, on m’a présenté du matériel d’enregsitrement et mis à disposition, j’en ai naturellement profité et en guise de studio, j’ai loué en décembre 2011 pour dix jours une maison de campagne dans le bourbonnais, terroir ou je m’étais justement exilé deux années plus tôt. Ce que je pense de L’exil, mis à part quelques ratés à la guitare, qui dévoilent mon assumée piètre maitrise de l’instrument ainsi que l’ivresse durant l’enregistrement, je n’y changerais rien. C’est un album réussi, complet, abouti et unique. Œuvre de référence du Black Metal rural, peut-être même le seul album du genre. Il aurait pu être davantage travaillé mais il devait rester primitif, minimaliste, qu’on entende le moteur du tracteur dans chaque corde de guitare grattée. Il fallait que ça sente la terrrrrre la denrée. La campagne. Il y a aussi ce morceau, Santé nom de Freux ! que je trouve inutile, désuet, dispensable. Il n’est qu’un simple délire passager. Le seul atout de ce morceau est la prestation vocale d’Iris.
Studio d’enregistrement de L’exil à Ussel d’Allier et campagne aux alentours, décembre 2011. |
Iris à Louroux-Bourbonnais, décembre 2009.
Photographie utilisée pour La mélancolie des pennes.
Charlène va alors t'accompagner pour quelques temps à la batterie. Marre de la formule One Man Band ?
Non. Mais enregistrer L’exil pour la sortie CD exigeait une batterie organique. Quelques temps auparavant j’ai assisté à un concert du très mauvais Esus dont Charlène était la batteuse. J’ai aimé son jeu de batterie bancal, amateur. Je n’aime pas quand c’est parfait. J’ai jeté mon dévolu sur elle.
Tu as créé ton premier projet Drakonhail dès 2002, soit deux ans avant Saatkrähe. Tu sors de multiples démos et un seul album à ce jour. Peut-on voir dans cette démarche résolument underground une filiation avec le travail des Black Legions ? D'autant plus que sous la bannière de Drakonhail tu as collaboré avec Drakkar Productions, leur label historique ?
Pourquoi lorsque un groupe publie un enregistrement sur support cassette, c’est forcément considéré comme étant une démo ? L’ombre du néant, Musiques de nuit, La nuit de Drakonhail, Le sentier, Nuit en édifice, Grisailles… Toutes ces cassettes sont bien des albums longues durées. Wintherr de Paysage D’Hiver a dû se faire à maintes reprises la remarque. Il nous a d’ailleurs présenté en avant-première son nouvel album Im Wald en disant avec une pointe d’humour : « It has a length of two hours. It’s definitely not a demo ». Non, simplement, j’adore les cassettes. C’est le meilleur support pour écouter du Black Metal en extérieur. Donc non, il n’y a aucun rapport avec les Légions Noires qui, au passage, à part Mütiilation, n’ont rien fait d’exceptionnel. La compilation cassette Of Ravens and Graves… est sortie en 2009, l’année ou je jouais dans Celestia. La collaboration avec Drakkar vient de là.
Revenons-en d'ailleurs à cet album sous le patronyme de Drakonhail, un double album, …des ailes... que tu as sorti chez Dernier Bastion en 2011... Drakonhail incarne une part encore plus “atmosphérique” de ton travail. Peux-tu nous en parler ? Quelles sont les intentions que tu as mises dans ce projet ? Quels “besoins” recouvre t'il en plus que le travail que tu fais avec Sale Freux ?
…des ailes… est l’album le moins représentatif de l’œuvre de Drakonhail. C’est un second enregistrement et une synthèse de Grisailles… et Errances monotones… qui sont tous deux des albums terre-à-terre, contrairement à tout le reste qui est beaucoup plus éthéré. Lorsqu’il fût question d’une éventuelle sortie CD de Drakonhail chez Dernier Bastion (petite pensée pour ce label qui est sur le point de renaitre de ses cendres après un long silence), donner une ambiance plus pesante et spectrale grâce à l’apport de la basse me paraissait nécessaire. Il en ressort un album bien prenant conçu comme une ode à la grisaille, mais c’est de loin le moins bon de Drakonhail selon moi. Pour être bien clair, Drakonhail compte beaucoup plus pour moi que Sale Freux. La raison est simple : Drakonhail représente ma plus haute vision du Black Metal ainsi que l’existence et la non-existence telle que je les vois, alors que Sale Freux interprète seulement mon éphémère passage sur Terre. Avec Drakonhail, on parle de catharsis et de symbiose avec le cosmos, le néant, le tout et le rien, c’est bien plus profondément spirituel que Sale Freux avec lequel je fais mumuse dans la cour de récréation.
Autre sujet récurrent de tes textes : l'alcool... S’agit-il d'une métaphore poétique à la manière d'Apollinaire ou bien d'une célébration de l'état d'ivresse ?
Non, c’est loin d’être une métaphore. L’alcool est présent tout au long de l’histoire de l’humanité, dans toutes les cultures, dans toutes les civilisations. Qu’on le veuille ou non, hommes et femmes aiment boire et ont toujours bu. L’Homme a fondé la civilisation en buvant, l’homme et la femme ont donné naissance à leurs chiards sous l’influence de l’alcool, l’humanité a pensé ses cultures et commerces directement en faveur de l’alcool. L’alcool est l’Homme, l’alcool est la terre, les moissons et les saisons, et l’alcool est divin. L’alcool et la femme aussi : ces sorcières ont rapidement compris comment produire diverses boissons fermentées pour enivrer les hommes afin qu’ils leur foutent la paix. L’ivresse est sacrée. Pendant quelques heures, elle fait sortir l’humanité de son état normal. L’alcool est aussi un aliment immédiat qui répand tout de suite sa chaleur au creux de la poitrine. L’alcool et le sexe aussi. Ah, ces expériences intimes ! On peut vraiment parler de célébration. L’ivresse inspire et favorise la création en tous genres. Qui de nous aura le courage impitoyable de condamner l’homme qui boit du génie ?
Pointe du Skeul, Belle-Ile-en-Mer, 31 mai 2014.
Quelle est ta vision du Black Metal sur ces vingt dernières années ? Considères tu qu'il existe des pistes intéressantes dans son évolution, où, comme beaucoup, que c'était mieux avant ?
Quelqu’un qui est passionné du Black Metal depuis 1998 ne peut que forcément constater que c’était mieux avant. Le Black Metal n’a pas nature à évoluer. L’évolution, on le voit bien à l’échelle de l’humanité, n’est qu’un chemin vers la chute. Il faut au contraire chercher à régresser, retourner à des valeurs musicales sûres, simples et primitives, comme dans nos vies. Les groupes d’aujourd’hui qui m’intéressent, s’il y en a, sont ceux qui n’ont pas évolués, ceux qui sont restés vingt ans en arrière. Le Black Metal contemporain va trop vite, est trop intellectuel, trop bourgeois, trop urbain, trop technique, trop lumineux pour captiver mon attention. Il a y trop de notes, trop de groupes, trop de tout, et plus rien n’est précieux. À titre personnel, j’écoute toujours et principalement les groupes allemands, finlandais, suédois et français de la période 1998-2005, ainsi que la Pologne et la Norvège de 1993-1998, et enfin Hate Forest et Branikald. Sinon, le dernier groupe qui m’a récemment marqué, comme la première fois que j’ai écouté Black Hateful Metal, est Krypta Niceswta. Minimaliste, spectral et morbide. Je conseille vivement le split avec Gjaldur, autre groupe allemand d’excellence (ex-Aaskereia). Je citerais aussi la quasi-totalité des projets de Swartadauþuz (Mytisk, Bekëth Nexëhmü, …) et Sir N. (Grav, Hädanfärd, …) qui sont à la tête de la scène suédoise actuelle et exercent un Black Metal qui pue les oubliettes d’autrefois. J’adore aussi le Black/Rock rural de Ehlder et Saiva, qui ne sont ni plus ni moins la continuité des excellents LIK et Lönndom, sans parler d’Armagedda. LIK et Lönndom qui sont d’ailleurs selon moi bien plus représentatif d’un Black Metal rural que ceux qu’on peut voir en France. Je pense que Sale Freux, quelque part, leur fait écho.
Revenons-en à Sale Freux...en 2013 tu sors un split avec les angevins de Zepülkr...Comment s'est opérée cette collaboration ? A l'initiative de qui ? Que penses-tu du résultat ?
Qui a pris l’initiative, je ne sais plus. J’imagine que c’est venu dans la discussion avec Krhäss de manière naturelle. On se voyait beaucoup à cette époque, on avait beaucoup de goûts similaires, on voulait se rejoindre sur un projet commun. Mais avec le recul, je trouve que c’est ce que j’ai fait de moins bon avec Sale Freux. La partie Zépülkr, elle, est sensationnelle.
On observe depuis quelques années une véritable scission au sein de la scène BM. Pour schématiser, on pourrait dire que l'on a d'un côté des groupes qui se méfient de plus en plus de leurs propos, quitte à lisser quelque peu leur Black Metal, à le rendre acceptable, et, pour certains, aller jusqu'à s'inscrire dans une démarche politisée “à gauche” pour se positionner contre le racisme et le sexisme etc. Alors que “de l'autre côté” on trouve des groupes qui vont chercher des sensations fortes du côté de l'imagerie et/ou des idées de l'extrême droite, parfois pour “choquer le bourgeois” et parfois par conviction. Que penses-tu de cette cristallisation politique, reflet de notre époque dans un genre, qui, à l'origine, se revendiquait essentiellement anti-religieux ou sataniste ?
Le Black Metal est individuel. La politique est sociale. Tout est dit.
Ton label “France d'Oïl Productions” qui voit le jour en 2014 je crois, est-il un moyen de diffuser un Black Metal d'essence “nordique” (au sens de nord de la France) ? Peux-tu nous en parler ?
France d’Oïl Productions voit le jour à Mortery en décembre 2013 pour être précis. Au départ j’ai créé cette structure comme interface internet pour distribuer les publications musicales de Sale Freux, en l’occurrence Crèvecœur qui était en cours d’enregistrement, Drakonhail, Humus et autres. Et puis avec le temps, j’ai commencé à envisager la possibilité de produire d’autres groupes de mon choix, sans aucune restriction de genre ou de frontières, sinon que ça me plaise et à la seule condition que le groupe ne fasse pas partie de l’élevage intensif des soumis qui utilisent bandcamp et facebook.
L’appellation « France d’Oïl » fût suggérée par mon ami Éclat Cadavéreux (chanteur et batteur d’Humus et maître du projet Tümëur) alors que nous envisagions la publication de l’album de Humus, Tout ce qui est vieux, au format vinyle (qui devrait enfin se produire cette année). Le choix du terme Oïl en opposition à celui d’Oc est justifié de la sorte : nous exécrons l’ensoleillement excessif, les températures élevées, le climat aride, la végétation sèche, l’accent du peuple, etc… de l’Occitanie. Elle nous fait peur et nous la fuyons comme toutes villes de plus d’un millier d’habitants. Je ne crois pas aux frontières historiques tracées par l’Homme, bien que certaines soient économiquement justifiées (Hail Helvetia). Le monde est un tout faisant partie de l’univers et l’espèce humaine n’y a simplement pas sa place. Je suis davantage séduit par l’idée de frontières géographiques ou climatiques. En ce sens, la France d’Oïl est gentiment un tout autre pays que la France d’Oc. Cette frontière imaginaire liée aux langues médiévales, d’ouest en est, partirait du nord de Bordeaux, poursuivrait sa route jusqu’au sud du Bourbonnais pour enfin remonter jusqu’à la chaine du Jura et Pontarlier. La France que j’aime, celle qui m’a vu naitre, est humide, verte et prospère. Les pâturages y sont recouverts d’herbe grasse et épaisse dont nos vaches noires et blanches se repaissent pour produire nos camemberts. Celle d’en bas, d’une terre poussiéreuse à peine parsemée de buissons et d’arbres déshydratés juste prêts à cramer sous les impitoyables rayons du soleil méditerranéen, semble désertique et hostile à nous autres qui ne supportons pas plus de 20°C de température. Pourtant là-bas, dès le mois de mai, les plages sont infestées par la bourgeoisie locale et polluées par la fange parisienne. Le Ponant au contraire, battu par les vents venus de l’océan, protège encore et toujours les irréductibles gaulois à coups d’averses battantes, de tempêtes violentes et d’embruns constants. Estivants, ne débarquez pas chez nous ! Le soleil, même en août, y est inexistant et la pluie tombe continuellement.
Revenons au label. Avec les années, France d’Oïl Productions est devenu une passion, là où au début il était une sorte d’obligation choisie. Désormais, je prends plaisir à soutenir des groupes en publiant leurs enregistrements. Mais encore une fois, je n’ai pas de restriction géographique. L’année passée, j’ai publié la démo d’un excellent projet occitan du nom de Morteruine. Bientôt, je vais sortir un groupe sud-américain. L’art n’a pas de frontière et voici deux citations qui feront grincer des dents aussi bien les faschos que les antifas : « Il n’y a qu’une seule race, la tristement humaine » (dans « Anti-Nazi Black Metal », De l’hypnotisme morbide à la sublimation de Tümëur que j’ai moi-même produit sur mon label). « Les frontières sont une invention des hommes, la nature s’en fout » (Jean Gabin dans La grande illusion).
L'album Crèvecœur en 2015 célèbre l'alcool, le nord de la France, la mélancolie. Comme sur L'exil, ton chant y est plus “clair”, moins croassant, était-ce dû à l'influence de Famine ou une démarche personnelle ? Peux-tu nous éclairer sur ce chant “nouveau” et cet album-là ?
C’est dû à l’alcool ! À l’âcre vinasse qui coule dans mes veines ! Il y a un peu de vrai mais je voulais un chant plus « humain » par rapport aux émotions et aux textes de ces albums qui eux-mêmes n’avaient plus grand-chose à voir avec le Black Metal. Le résultat plus « clair » fût comme une évidence. Au passage, je ne considère pas le triptyque L’exil – Crèvecœur - « Adieu, vat ! » comme du pur Black Metal. On est davantage dans un Black rock rural (L’exil), manouche (Crèvecœur) et maritime (« Adieu, vat ! ») sur les fondations d’un Black Metal mélalcoolique.
Tes albums commencent pour la plupart par un ensemble de sons maritimes et issus de la nature. Est-ce un moyen de te reconnecter avec ta Bretagne natale ? Nous mettre dans une certaine ambiance ?
L’eau c’est la vie ! Qu’elle tombe du ciel, qu’elle s’écrase sur les écueils, qu’elle stagne dans nos marais (biotopes à part entière), qu’elle coule dans nos vallées en lacs et rivières, qu’elle fonde des glaciers, qu’elle perle des fontaines dans mon verre d’absinthe, l’eau est mon élément. Oui, je pense que les samples sont un bon moyen pour mettre l’auditeur dans l’ambiance, qu’il puisse voyager à proximité du compositeur le temps d’un album. Ils ne sont pas nécessaires à toute œuvre de Black Metal, au contraire, mais pour un projet comme Sale Freux, dont les albums quasi conceptuels témoignent des tranches de vie, ils sont indispensables. Ils sont toujours capturés par moi-même avec du mauvais matériel à ces instants clés, vécus et liés à l’album ou à une chanson. Rien n’est fait au hasard. Ce ne sont pas des bruitages récupérés sur Internet. Bretagne natale ? Je ne suis pas natif breton. Je suis tourangeau. Enfin, je suis né à Tours, j’y suis resté trois jours et on m’a rapatrié au pays des fées, des korrigans… et du chouchen ou j’ai en fait toujours vécu.
« Adieu, vat ! » Ressemble à un album sur le thème du départ... Avais-tu alors envie de hisser les voiles et de décamper loin du monde ?
À Provins, de nuit en 2002 (première année), de jour en 2013 (dernière année).
J’ai stoppé brutalement l’art de la fauconnerie fin 2013, spécialement parce que notre responsable d’équipe est un frustré de la vie doublé d’un bénévole de la méchanceté. Il était violent avec les oiseaux et c’était devenu invivable. J’ai préféré partir, quitter les oiseaux. Je me suis alors retrouvé bien paumé voir totalement désemparé vu que travailler en alliance avec les oiseaux était toute ma vie. La décision fût dure mais tout est éphémère, n’est-ce pas ? Je me suis donné une année sabbatique pour me changer les idées et réfléchir. J’ai pris mon sac, mes guiboles et je suis parti à pied le long du littoral ouest hexagonal, de Bayonne à Saint-Malo. Ça a duré des mois et ça a marché. Un conseil pour combattre la dépression, ou même seulement un coup de cafard, voici l’ordonnance de docteur Dunkel : quitte tout ! Casse-toi avec trois sous en poches et marche où te mèneront tes pas. Stagner ne sert à rien. Sois libre et vois du pays. Sois ton propre oiseau ! C’est réellement à partir de cette fuite en 2014 que je me suis pris de passion pour la mer. Je squattais chaque soir un spot différent, transcendé par la mélancolie que m’envoyait à la face l’astre vital crevant dans l’océan. Et en flânant de port en port, je rencontrais les marins, ces paysans de la mer qui exercent une profession vieille comme le monde. C’est à ce moment-là que je me suis promis que j’embarquerais un jour. J’ai alors entamé une formation de marin pêcheur à Saint-Malo fin 2015 et, après une parenthèse occitane sans intérêt, j’ai finalement pu embarquer en 2018 à Port-Louis puis Saint-Malo. Je peux être fier d’exercer un des métiers les plus durs et dangereux au monde : on part généralement à vingt-deux heures. On charge la bouette dans le camion, on retrouve le bateau sur la cale du Naye, on y charge le matos puis on largue les amarres. Ensuite on prépare le pont pendant environ une heure et on file sans perdre une seconde pour manger un morceau et faire la sieste. Deux heures plus tard on arrive sur le lieu de pêche et c’est parti pour dix heures non-stop, à virer et filer des casiers de douze kilos chacun à la main, à se prendre des branlées par la mer, des vagues dans la gueule et parfois cinq mètres de houle qui joue avec le bateau. Une fois relevées les quinze lignes de soixante-douze casiers chacune, la marée est finie, on peut rentrer. On range le pont pendant une heure, on mange et on sieste. Là il est quasiment midi. Une fois arrivés au port, on charge la pêche dans le camion et on va livrer la tonne de bulots aux clients. Une fois tout ça achevé il est seize heures, et là chaque minute compte ! On fait une sieste de trois heures à l’hôtel et on repart. On en chie et on aime ça. Faut bien mériter ses trois cent cinquante euros journaliers. Entre temps, « Adieu, vat ! » que je composais depuis ces vadrouilles côtières en 2014 et 2015 était arrivé à bon port. Je vois cette album comme l’esquisse impulsive d’une œuvre bien plus équilibré dont le concept m’est apparue lorsque j’étais sur la route en observant une plume d’oiseau virevolter dans l’air : j’ai entrepris de parcourir le Ponant en jetant quotidiennement une bouteille à la mer. Dans chacune de ces bouteilles, que j’ai préalablement pris le soin de vider, se trouveraient une plume de corbeau provenant de ma collection personnelle ainsi qu’un bout de papier sur lequel j’écrivais un ou deux vers pensés le jour même, au rythme de mes pérégrinations. S’en suivi l’invention de mon fait d’un nouveau sport : le lancer de bouteille. La règle n’étant pas de la lancer le plus loin possible, mais d’en lancer le plus possible après les avoir vidées. J’écrivais également chaque vers dans un calepin car ils seraient destinés à ordonner les paroles de cet album intitulé 107 bouteilles à la mer. Cent-sept correspondant au nombre de plumes que j’ai trouvé au hasard depuis dix ans lors de mes errances rurales. Ce projet colossal est aujourd’hui inachevé. La dernière bouteille jetée en octobre 2018 porte le numéro septante-sept. Ce projet connaitra-t-il l’achèvement, seul l’avenir me le dira. « Adieu, vat ! ».
En pleine mer à la bare du Lokeya, janvier 2020.
Vindilis en 2017, ne comporte que des titres de 11 minutes et 11 secondes... Y a-t-il un concept derrière cela... La phrase “Pour que la terre me libère j'ai foutu sale freux en l'air” sur le titre “J'ai foutu Sale Freux en l'air”... quelle est sa vraie signification ?
« Pour que la terre me libère… » doit être compris « pour me libérer de la terre… ». La première signification est une métaphore pour dire se foutre en l’air, crever, être libre. La seconde est plus factuelle : considérant que Sale Freux représente une plume et un vers soit embouteillé, j’ai littéralement foutu Sale Freux en l’air en jetant toutes ces bouteilles en mer. Dernier sens de cette sentence : on peut saisir l’envie que j’avais à l’époque de tout quitter, de tout arrêter, même Sale Freux. L’anecdote du nombre onze est moins chargé de sens. J’ai composé Vindilis au fur et à mesure. Le hasard fit que le premier morceau durait 11 minutes et 11 secondes. J’ai trouvé ça intéressant, esthétiquement parlant. Je suis un peu maniaque pour certaines choses. Alors je me suis embarqué dans cette idée de faire 5 morceaux de 11’11 = 55’55. Je crois aussi que j’aime me donner des challenges comme une direction à prendre pour mener à bien un projet. Il faut voir cet album comme un équilibre parfait, fait par un homme désorienté, un hommage droit et sans faille à mon île. On peut aussi constater un parallèle entre la piste une et la piste cinq qui ont une structure classique, un début, une fin, alors que les trois du milieu se terminent en fondu, sans fin. Passé ces détails dont tout le monde se fout, Vindilis est selon moi le meilleur album de Sale Freux, il est d’une prouesse musicale remarquable.
Trouvère à heures perdues est ton dernier album à ce jour. Il est sorti en 2018. Peux-tu nous en toucher un mot ?
Non.
A quoi peut-on s'attendre pour la suite de l'aventure Sale Freux ?
La nouvelle migration de Sale Freux, l’envol bancal de ce piaf éternellement libre, l’ivresse folle sous les fientes des milliers de grues cendrées et de milans parés d’or royal, la distillation clandestine, la mélancolie rurale, les sources, fontaines et cours d’eaux noires, les herbes poisons, la nature printanière et le brouillard qui monte dans la vallée verdoyante seront mis à l’honneur dans Vol de travers, album longue durée en cours de création qui sera rendu public à la fin de l’année. L’album marquera l’arrivée d’un nouveau batteur.
Un autre album abominable suivra. Il est déjà bien implanté dans mon crâne depuis un moment déjà. Sept compositions sont achevées, sur fond de magie noire, de glorification du féminin et de sacrifices d’enfants.
Es-tu d'accord pour dire que le Black Metal est la mise en beauté de la laideur ?
Oui pourquoi pas, et l’inverse fonctionne aussi. Mais pour moi le Black Metal c’est l’art de la nature mis en musique par une poignée d’individus.
Tu as sorti l'an passé un split avec les belges d'Eole Noir. Comment s'est déroulé cette collaboration ? Vous êtes-vous concertés ?
Concertés, c’est sûr. Nous sommes en contact depuis des années avec S. Nihil (la première fois en 2009-2010 alors que je cherchais un batteur pour La mélancolie des pennes), nous savions qu’un jour viendrait à collaborer. Nous nous sommes finalement rencontrés en Belgique à la suite du légendaire concert de Colmar 2019. Les photographies du split ont été prises à cette occasion dans les paysages hivernaux du plat pays. Mais chacun composa sa musique de son côté, ce n’est pas un split conceptuel, bien que le visuel soit d’une cohérence parfaite. S. Nihil est un de ses derniers résistants au vrai et ancien Black Metal. Un de ses passionnés qui ne change pas, qui reste intègre, car pourquoi changer lorsqu’on est passionné ? Une des rares personnes à entretenir et attiser la flamme noire et clandestine du Black Metal, dans l’ombre, comme il se doit.
Les Hautes Fagnes, Belgique, février 2019. |
Les autres projets, comme Trou Noir, ou tu joues en trio, sont-ils encore actifs ? Peux-tu nous en parler ? Quelles places occupent-ils par rapport à Sale Freux ?
Trou Noir à bien failli imploser et s’éteindre, n’ayant plus de nouvelles des deux autres membres russes depuis des années. Je n’y croyais plus. Mais j’ai finalement reçu un message de Monork tout récemment et nous allons enfin pouvoir terminer le nouvel album dont les morceaux datent de cinq ans en arrière. J’ai composé un morceau de Trou Noir sur le premier album mais à part ça je ne m’occupe que du chant. Ce projet tient une place tertiaire par rapport à Sale Freux et Drakonhail, si l’on prend en compte qu’Humus, aujourd’hui dissous, occupait une place bien plus importante. Je ne m’attarderais pas sur Trou Noir qui s’adresse à un public qui ne m’intéresse pas, mais Humus à beaucoup compté pour moi, car fondé à l’initiative d’Éclat Cadavéreux de Tümëur. Cela faisait longtemps qu’on envisageait de concrétiser notre amitié ainsi que notre foi irréductible envers le Black Metal de la vieille école en édifiant un projet musical. Et un jour d’automne, en forêt, on s’est décidé. Le travail avec Éclat Cadavéreux était d’une efficacité redoutable. Tout était simple, tout venait naturellement et nous n’étions jamais en désaccord. Nous nous fréquentons depuis l’an 2000, nous nous connaissons par cœur et nous avons exactement les mêmes goûts en matière d’Art Noir Clandestin. Une collaboration exemplaire qui a prit fin aussi simplement qu’elle a débutée. Un Black Metal cru, forestier, misanthropique, froid et vieux comme tout ce qui l’est.
Si Sale Freux devait être une citation, un proverbe ?
Pour vivre heureux, vivons cachés.
Merci Dunkel d'avoir répondu à mes questions... Pour finir je te laisse remplir le blanc qui suit comme tu le souhaites :
Becs !
Dunkel, 4 juin coranno 2020.
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