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INTERVIEW - De Forbidden Site à Romaric Sangars : 30 ans de poésie...Français + English
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Quel parcours passionnant que celui de Romaric Sangars...Depuis ces années 90 lors desquelles il officia au sein d'un des groupes de Black Metal français les plus originaux qui soient, Forbidden Site, jusqu'à aujourd'hui et sa plume mise au service à la fois de belles pièces de littérature et de magazines liés à l'art et la culture, mais aussi aux opinions (L'incorrect) il n'a cessé d’œuvrer contre l’abêtissement général qui nous envahit. Alors, tandis que certains illettrés se piquent d'histoire en déboulonnant des statues où vont taguer la statue de Jimi Hendrix vu comme un "collabo" des blancs il est plus que temps de se refaire une santé intellectuelle et littéraire. Les livres de Romaric y contribuent grandement. Ne laissez pas l'idiocratie vous pourrir la vie, continuez à écouter de la musique, mais saisissez vous des livres et des idées. Entretien avec l'intéressé...
"Un groupe de musique signifiait bien davantage qu’un projet artistique, mais plutôt une espèce de secte, une marge mystique qui se devait de déclarer la guerre au reste du monde" (Romaric Sangars)
Bonjour Romaric, et merci de bien
vouloir répondre à mes questions. Nous allons commencer cet entretien en
évoquant le groupe de Black Metal culte dans lequel tu étais dans les années
90. Forbidden Site. Peux tu nous raconter un peu comment le groupe s'est formé
et ce que vous vouliez en faire ?
Le groupe, du moins, son principe créatif, est véritablement né de ma rencontre avec Arnault Destal, un 31 décembre 1993. Je venais de monter un groupe de metal avec des amis lycéens, dont les orientations étaient encore très peu définies, nous faisions des reprises dans le garage de mes parents et il nous manquait un batteur. Arnault m’avait été indiqué par un ami musicien que nous avions en commun. Dès lors, il s’est produit une évidente alchimie entre nous. Arnault fut immédiatement très enthousiaste quand je lui montrai mes compositions et m’apporta des paroles, comme l’idée du nom du groupe. Il était un peu plus âgé, de deux ans mon aîné, ce qui, à 16 ans est significatif, et était déjà très initié aux genres les plus étranges et les plus radicaux du metal extrême, qui bénéficiaient alors d’un grand bouillonnement. Produire une synthèse unique, voilà quelle fut assez rapidement notre ambition artistique. Il est également vrai qu’à cet âge et étant donné les genres en question, et aussi, j’ajouterai, l’époque qui était la nôtre, un groupe de musique signifiait bien davantage qu’un projet artistique, mais plutôt une espèce de secte, une marge mystique qui se devait de déclarer la guerre au reste du monde.
Vous sortez votre première démo en 1994, soit en pleine vague du Black Metal scandinave. Peux tu nous parler de cette première sortie ?
Notre première véritable démo reste pour moi Renaissances noires, qui sort en 96. La démo de 94, Catharsis, représente encore une phase de maturation du groupe. Nous n’avions pas encore digéré nos influences. Il s’agissait de genres plus en vogue à l’époque, comme le doom metal de My Dying Bride ou Paradise Lost, le premier album de Cathedral ; on trouvait aussi, alors, du doom death en provenance de Malte ou d’Autriche. Nous étions fans de Godsend, également, du doom norvégien. Quelques échos de trash death remontaient occasionnellement. Puis vint le Black Metal, en effet, nous nous y convertîmes autant par Burzum, Dark Throne, Immortal, Satyricon, Mayhem, que Samaël. Et c’est ce genre tout juste débarqué de Scandinavie qui nous guida dès lors comme référence principale. Nous avions tout de suite saisi, je pense, l’aura subversive unique qui en émanait. Et du moins dans notre région de France, fûmes-nous les premiers à nous revendiquer de ce style et à en employer les codes.
Vous allez vous démarquer avec un
Black Metal aux accents franchement gothiques. Quels étaient à l'époque les
groupes, auteurs et courants qui t'ont influencé pour aller dans cette
direction ?
Comme je le disais, le Black Metal était alors une subdivision très récente, et très radicale, de la grande arborescence « métallique » internationale. Nous étions également marqués par d’autres influences et notre projet était de proposer une synthèse propre, plutôt que de copier ce qui préexistait. Il n’était pas question pour nous de copier littéralement les Norvégiens et il nous paraissait très provincial, comme attitude, de poser aux fils de Vikings bardés de runes quand nous descendions des Français, peuple qui, par ailleurs, n’avait rien à envier à aucun autre tant en matière de victoires militaires que d’exploits artistiques. Puisque de jeunes Norvégiens en rupture revendiquaient leurs racines païennes dans une musique plus noire et plus agressive que jamais, nous allions brandir le génie français, dans son relief romantique le plus exalté : Ars Gallica ; ce qui impliquait une certaine théâtralité et une alternance d’idéalisme et de mélancolie qu’on peut rapprocher, en effet, des musiques gothiques. Cela étant, de notre point de vue, nous élaborions un alliage de Black metal et de Doom metal dans une perspective française mais avec une grande liberté formelle. Il me semble que depuis, le Black Metal a gagné une espèce d’hégémonie et qu’il est souvent très codifié. Ce n’était pas le contexte dans lequel nous évoluions.
Je te sais proche de Hreidmarr
(ex-Anorexia Nervosa) et il est vrai que vos deux groupes, chacun à leur
manière, ont contribué à proposer un Black Metal différent du modèle
scandinave. Plus littéraire, poétique, romantique. Quelles étaient vos
relations avec Anorexia et qu'aviez vous en commun ?
À cette époque qui doit sembler aujourd’hui antédiluvienne, les musiciens de metal extrême s’échangeaient des démos cassettes de leur travail, parfois de très mauvaise qualité sonore, d’un bout à l’autre du monde. Nous répondions à des interviews pour des fanzines photocopiés vendus à l’entrée des concerts. Les groupes s’échangeaient leurs propres démos par courrier et naissaient parfois de longues correspondances papier, avec laïus métaphysique et cachet de cire. C’est ainsi que je fis la rencontre de Hreidmarr, par un échange de démo (il jouait alors dans Count Nosferatu). Nous nous rencontrâmes pour la première fois à Lyon, alors qu’il était venu assister à un concert de Cradle of Filth, dont nous assurions la première partie. Nous devînmes bons amis et n’avons d’ailleurs pas cessé de l’être. D’un point de vue historique, nous venons un peu avant Anorexia dont le succès et les albums studio arrivent en fait juste après la fin de Forbidden Site. Hreidmarr a toujours revendiqué sans scrupule l’importance de Forbidden Site parmi ses influences, puisque nous étions alors leurs aînés. Anorexia ayant commencé de rayonner vraiment après notre extinction, nous n’eûmes jamais l’occasion de partager une scène, en dépit de notre amitié, avec Hreidmarr puis le reste du groupe, et les convergences esthétiques nombreuses qui étaient les nôtres. C’est pour réparer cela que Hreidmarr nous proposa, en 2002, de remonter Forbidden Site pour un concert exceptionnel à la Locomotive (aujourd’hui La Machine), où nous pourrions enfin partager la même affiche. Ce qui fut fait, et clôtura pour nous l’histoire de Forbidden Site.
Finalement, que reste-t-il
aujourd'hui de Forbidden Site, aussi bien pour toi en tant qu'individu qu'au
niveau d'un héritage musical ?
Au niveau de l’héritage musical, ce n’est pas à moi de le dire et, sincèrement, je n’en sais rien. Il me semble toutefois qu’une certaine dimension poétique, romantique, littéraire, dans ce style, l’emploi de textes en français et d’une certaine mythologie française, tous ces éléments que nous avions initiés dans notre Black Metal ont fini par proliférer parmi les groupes nationaux. Pour le reste, la manière qui était la nôtre de nous jouer des codes et d’intégrer des influences assez diverses n’est pas la voie qui prédomine depuis. Cet éclectisme paraît typique de la seconde moitié des années 90. Personnellement, en revanche, je sais avec certitude que je dois énormément à cette expérience : une perception religieuse de l’art ; une quête permanente de l’éclat et de la transe ; un certain goût pour la provocation.
De ce Black Metal poétique et littéraire
à la littérature à proprement parler il n'y avait qu'un pas, que tu franchis
avec un premier livre au titre en forme de punchline, Suffirait-il d'aller
gifler Jean d'Ormesson pour arranger un peu la gueule de la littérature
française ?, mais que t'a-t-il fait ce
pauvre D'Ormesson (paix a son âme) ?
À moi, directement, rien, mais son entrée dans la bibliothèque de la Pléiade me fit l’effet d’une profanation, d’autant que tout le monde savait très bien, à l’époque, les basses raisons commerciales qui avaient justifié cette aberration. Par ailleurs, il me semblait qu’entrer en littérature en allant défier un vieil académicien était une vieille et noble tradition française qui méritait d’être maintenue tout autant que l’excellence de la collection de prestige.
Tu as des
convictions... Catholique, réactionnaire, monarchiste, tu t'inscris dans la lignée d'auteurs comme
Léon Bloy ou Barrès ?
J’apprécie beaucoup ces deux écrivains, mais je me sens davantage dans la lignée d’un Pierre Drieu la Rochelle (qui était barrésien, cela étant) et aussi d’un André Breton. Je me situe à nouveau à la croisée de deux traditions contraires, quoi qu’elles soient toutes deux issues du romantisme. Dans les termes d’un héritage plus direct, je me sens autant influencé par Richard Millet que par Antoine Volodine. Catholique et monarchiste, oui. « Réactionnaire », volontiers, s’il s’agit par là d’effrayer les autoproclamés « progressistes », mais en réalité, je me suis toujours vécu comme d’avant-garde. Et aujourd’hui plus que jamais.
Ton parcours me rappelle celui de Huysmans, ce passage des ténèbres romantiques à la conversion... Est-ce une de tes influences ?
Oui, parfaitement. J’ai été très marqué, adolescent, et à l’époque de Forbidden Site, d’ailleurs, par cette période artistique de la fin du XIXe siècle, dite symboliste ou décadente, ou les plus doués et les plus révolutionnaires des écrivains passent du nihilisme à l’occultisme et de l’occultisme à la conversion ou la reconversion au catholicisme, ce que Huysmans va incarner de la manière la plus tranchante, mais c’est aussi le cas d’un Barbey d’Aurévilly, d’un Villiers-de-l’Isle-Adam, d’un Bloy. Et tout cela était déjà mis en jeu et en lumière chez Baudelaire.
JK HUYSMANS : DE SATAN A JESUS |
Tu sors l'excellent Les
Verticaux en 2016... J'ai beaucoup apprécié ce roman, déjà parce qu'il
devient rare de nos jours de lire un ouvrage de fiction bien écrit... et je te
remercie pour ce plaisir... Tes personnages, Vincent, Lia et Emmanuel
apparaissent comme des « Outsiders de luxe », des cathos monarchos
plutôt révolutionnaires mais en version désabusée. Plutôt amateurs de la beauté
du geste chevaleresque dans un monde qu'ils savent foutu... De qui es tu le
plus proche ? Vincent, Emmanuel... Lia ?
De Vincent, puisque c’est lui le narrateur et celui qui se trouve dans la position de l’écrivain, même s’il est une version « distordue » de moi-même, évidemment, et que des éléments qui me sont essentiels sont incarnés par Emmanuel et Lia. D’une certaine manière, Vincent est un écrivain arrêté et dépressif qui, pour retrouver sa faculté de création, doit reconnecter la littérature avec la mystique et l’action, lesquelles sont représentées par Lia et Emmanuel. L’esprit, l’encre et le sang : voici l’équation à restaurer pour sortir du verbiage.
Sous ses dehors romanesques
ce livre est une critique acerbe de notre modernité dissolue, de cette
pseudo-démocratie progressiste qui d'ailleurs tourne de plus en plus à
l'autoritarisme d'extrême gauche, avec ces mouvements néo-féministes et
intersectionnalistes intolérants et qui semblent paver le terrain du
transhumanisme... Quelle est ta vision de ces mouvements, et jusqu'où penses-tu
qu'ils peuvent aller en matière de nuisance ? Pour ma part j'avoue mon désarroi
devant l'absence de courage intellectuel de la plupart en France face à ces
Greta Thunberg et Adèle Haenel dictatrices !
Je vois là la résurgence des éternelles vieilles hérésies. Et plus précisément, à notre époque, et à propos des mouvements que tu cites, de l’hérésie cathare, c’est-à-dire de la gnose et du manichéisme. Selon la gnose, le monde n’a pas été créé par Dieu puis chuté, ce pourquoi il serait bon en soi mais devrait être réparé par l’action des hommes guidés par l’Esprit ; non, le monde matériel serait la création néfaste d’un mauvais démiurge destinée à prendre au piège les purs esprits que nous serions, si bien qu’il faudrait soit fuir hors du monde, soit le « dé-créer » en quelque sorte. C’est ce que veulent les transhumanistes et les prétendus mouvements d’émancipation à la mode. Quant à Greta, on croirait un gnome illuminé prêchant le retour à l’adoration de la terre-mère.
Tu as écrit Conversion en 2018. Je ne l'ai malheureusement pas encore lu mais je sais que tu y relates ta conversion au catholicisme... S'agissait il pour toi d'un retour aux racines familiales, à une éducation ou à quelque chose de complètement nouveau ?
Un peu des deux. Je n’avais pas été éduqué dans le catholicisme, mais nous n’en sommes pas moins tous, en France, si ce n’est chrétiens, du moins post-chrétiens, en outre, j’ai étudié dans un collège et un lycée catholiques. Néanmoins, contrairement aux vieilles hérésies qui resurgissent régulièrement, l’Esprit est toujours une nouveauté radicale.
Que penses-tu des
inégalités sociales en France ? Comment vois tu le fait que 10 millions de
personnes soient pauvres dans un pays riche ?
C’est évidemment un triste état des choses. Cependant, à l’heure du capitalisme mondialisé et des migrations de masses, on importe des pauvres et on appauvrit les autochtones tout en accroissant la concentration des richesses au sein de structures transnationales. Donc poser la question au niveau national n’a pas grand sens.
Je me doute que tu n'es plus trop dans le « trip » Black Metal, et je sais que tu apprécies (comme moi) des groupes comme Coil, et d'autres, dans la mouvance industrielle. Peux tu nous parler de tes goûts actuels ? T'es tu déjà intéressé à des groupes de BM chrétien comme Horde, Antestor, Crimson Moonlight ?
Non, j’avoue n’avoir jamais écouté ces groupes. En ce moment, j’écoute Laake, jeune prodige français de l’électro-piano, un mouvement initié en Allemagne tout à fait passionnant. J’aime aussi beaucoup Arvö Pärt et sa musique dépouillée et mystique. Et j’ai aussi récemment découvert Sextile, un groupe allemand d’electro-clash à l’esprit farouchement punk, qui aurait malheureusement cessé ses activités.
Ton prochain livre ?
Il gravite autour du Graal et de l’imaginaire arthurien. J’ai plongé dans l’infraconscient européen. Puisque tout est ébranlé, j’ai souhaité revenir à la source. Je compte, évidemment, alcooliser le geyser.
Tu n'es pas seulement écrivain, mais tu travailles aussi dans la presse écrite… Après être passé par Chronic'art, Causeur, tu es aujourd'hui rédacteur en chef de la section culture du magazine L'incorrect. Peux tu nous raconter ce cheminement journalistique ? En quoi correspond-il à tes idéaux ?
Chronic’art était un magazine très novateur pour la première décennie des années 2000 et où je me sentais totalement libre d’écrire ce que je voulais. Cela m’a permis de découvrir la littérature de mon époque, de rencontrer les écrivains que j’admirais, de nouer avec certains de belles amitiés. J’ai toujours pratiqué la critique littéraire dans une perspective de créateur. J’observais les formes que mes contemporains proposaient pour dire leur temps. Dans Causeur, je me suis fait davantage éditorialiste. C’était, et c’est toujours, une belle nébuleuse où sont passées toutes les jeunes plumes anti-politiquement correctes de l’époque. L’Incorrect, c’est mon ami Jacques de Guillebon qui en est le directeur de rédaction, et pour moi, la responsabilité est plus grande et également plus excitante, puisque je dirige les pages culture et qu’il s’agit, dans tous les domaines, de défendre ce qui nous paraît artistiquement pertinent et d’attaquer les fausses valeurs.
Envisagerais tu de
refaire de la musique un jour ?
J’ai un projet en germe, en tout cas, même si mes projets littéraires et mes activités ne me laissent pas suffisamment le temps de m’en occuper pour l’instant. Cela s’intitulerait « No Seppuku In September ». Ce serait un projet à la fois piano-voix minimaliste et électro plus expérimental. Beaucoup de mélancolie et de chaos. Mais je ne sais pas comment et quand cela se formalisera.
Tes lectures du moment ?
Le cycle arthurien à la suite de Chrétien de Troyes, puisqu’il s’agit du thème du livre que j’écris. Le recueil de poèmes Une Terre où trembler de mon amie Hélène Fresnel. Mais une femme russe qui me fascine m’intime de lire Le Maître et Marguerite, chef-d’œuvre de Boulgakov, et je ne pense pas résister longtemps à cette injonction.
Si Romaric Sangars
était une citation, ou un proverbe ?
French poetry’s not dead.
À toi de conclure comme tu le souhaites :
Merci pour ce long entretien, qui me donne cependant l’étrange sensation du temps qui passe ! Puisse Dieu sauver quelque chose de nos secondes furieuses perdues dans l’éternité.
"A music group meant much more than an artistic project, but rather a kind of sect, a mystical fringe that had to declare war on the rest of the world" (Romaric Sangars)
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