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INTERVIEW - ACEDIA - Black Metal Avant-Garde - METALLIAN / LE SCRIBE DU ROCK - Les Acteurs de L'Ombre Productions
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ACEDIA
La fracture du monde
Interview publiée dans METALLIAN 132 ici en version intégrale...
Le Québec est depuis longtemps une terre fertile en matière de black metal, ou plutôt de metal noir comme disent ces fiers francophones. Acédia propose un album de black metal original, porté par le souffle de l'avant-garde...Vous connaissez mon goût prononcé pour les groupes qui refusent de tourner en rond ... De ce fait, je ne pouvais pas ne pas me pencher sur le cas Acédia...Chose faite, et une interview absolument passionnante...Pierre
Acédia évolue dans un black metal à la fois progressif et expérimental, fruit de la déjà longue expérience de vos membres dans des groupes de qualité comme Cantique Lépreux ou Chasse-Galerie, entre autres. Pouvez-vous nous présenter ce nouvel opus et nous donner le sens de cette « Fracture » qui lui donne son titre ?
Fracture est le troisième album d’Acédia. Il surgit sept ans après la diffusion de notre deuxième album Les supplices de l’apathie et onze ans après la formation du groupe en 2011. À l’origine, nous pensions faire un split avec le groupe Basalte. Les titres "Mont Obscur" et "L’inconnu" ont été composés dans ce contexte. Nous avons ensuite pris la décision, d’un commun accord avec Basalte, d’élargir respectivement le nombre de compositions et d’y aller pour un album complet. Musicalement, Fracture suit une tangente un peu plus singulière dans les compositions. C’est un album relativement court, mais dense en matériel musical. Composé durant le confinement imposé par la pandémie, nous avions besoin d’exprimer quelque chose d’un peu plus chaotique et incertain.
Le nom "Fracture" représente plusieurs choses. L’album a été réalisé à la suite d’un changement important de personnel au sein du groupe. Acédia a perdu en quelques semaines un de ses membres fondateurs et un membre qui avait intégré le groupe peu après sa formation, tous deux suivant des déménagements. Le groupe a été réanimé à l’initiative de Charléli, notre batteur, qui n’était pas alors membre d’Acédia. Il nous a tout de même approchés pour relancer le projet. Au niveau le plus élémentaire, donc, il y a une fracture chronologique qu’on voulait ici exploiter. Ce renouveau a également été accompagné de nouvelles méthodes de compositions – autre fracture vis-à-vis du passé du groupe. Au niveau thématique, nous voulions mettre au jour certains éléments liés aux multiples fractures qui confrontent les sociétés contemporaines et les individus qui les composent, notamment celle qui oppose l’impulsion que portent les humains pour la créativité et qui est contrecarrée par les injonctions d’une modernité de plus en plus effrénée. On peut aussi noter sur la couverture de l’album une fracture entre la brutalité d’une voie autoroutière qui s’impose au-dessus d’une rivière asséchée.
L'album convoque chaos, dissonances, structures rythmiques changeantes et riffs complexes. D'où vous vient un tel goût pour la sophistication musicale ?
L’intérêt des membres du groupe pour la musique qui sort des carcans habituels a toujours été présent. Certains de nos membres sont actifs dans le milieu des musiques expérimentales et improvisées, où les harmonies inhabituelles sont courantes. Notre batteur est actif dans des groupes de death métal, ce qui encourage peut-être les cassures rythmiques. Pour le reste, il s’agit d’essayer différentes formules pour arriver à des résultats esthétiques que nous aimons à l’oreille, et qui sont plaisants à jouer d’un point de vue instrumental. Cet aspect est important pour nous. Cela dit, les dissonances et les structures rythmiques changeantes ne sont pas un objectif en soi. Ces éléments apparaissent au besoin et au fil de la composition des pièces. La première idée qui guide nos compositions est souvent une mélodie bien simple qui se trouve modifiée, augmentée, écourtée ou harmonisée. Lorsqu’on a un résultat qu’on juge à notre goût, on le fixe habituellement sur un enregistrement. Pour nous, nos deux albums précédents reflétaient également l’aboutissement d’un processus de composition complet tout autant que Fracture , bien que ces albums soient peut-être plus faciles d’approche.
Dans vos textes, francophones et poétiques, vous abordez diverses questions métaphysiques et philosophiques telles que obsolescence qui rend tout éphémère et sans valeur, ou encore l'apathie et "l'aquoibonisme" contemporain qui rendent les individus dociles comme des moutons. Pouvez-vous développer votre pensée sur ces sujets ?
Nous ne croyons pas que les thèmes abordés dans nos textes relèvent particulièrement de la métaphysique. Nous traitons plutôt des choses que nous expérimentons dans le quotidien et à partir de nos sens. La trame de fond demeure toujours les inquiétudes liées à l’aliénation qu’apporte le divertissement généralisé et le culte de la réussite sociale, à travers la mystification de la promesse du consumérisme. L’acédie est liée à l’apathie, la torpeur, l’indifférence et l’insouciance que cause le décalage entre les attentes spirituelles d’un individu et ses actions charnelles. Nous croyons que ce concept hérité de l’antiquité est adapté aux réalités contemporaines.
Vous avez déjà côtoyé sur scène des grands noms du black metal comme Taake, quelle serait pour vous l'affiche idéale à laquelle participer ? Et d'ailleurs parlez nous de vos concerts à venir, à quoi peut on s'attendre ?
Si on s’en tient aux groupes basés de notre côté de l’océan atlantique, ce qui demeure plus réaliste pour la tenue de concerts, on aime toujours partager la scène avec des groupes qui ont une approche singulière dans le métal extrême. On peut penser à Gorguts, Yellow Eyes, Imperial Triumphant, ou Krallice pour les groupes ayant une plus grande renommée. Ça serait un honneur pour nous de jouer avec eux dans le cadre d’un concert dans notre ville, Québec. Nous sommes également toujours heureux de rencontrer des groupes moins connus, mais qui néanmoins portent une voix unique. Par ailleurs, deux de nos membres ont pu jouer récemment avec Thantifaxath dans le cadre d’un concert avec Cantique Lépreux. On serait très enthousiaste à l’idée de répéter l’expérience avec Acédia.
Pour la suite, on veut attendre quelques semaines après le lancement de l’album pour officialiser les concerts à venir. Il faut dire également que la structure d’organisation des concerts de métal extrême est différente au Québec qu’en Europe. Les villes moyennement populeuses sont éloignées les unes des autres, ce qui complexifie la tenue de plusieurs concerts en peu de jours. Côté scénique, les concerts d’Acédia sont assez sobres. Il n’y a pas de dispositifs ou d’habits particuliers qui accompagnent notre musique.
On vous compare également à de grands noms du black metal le plus expérimental tels que Krallice. Font ils partie de vos influences et, à ce sujet, quels sont les groupes les plus importants pour vous ?
Nous avons découvert la musique de Krallice à la suite de la diffusion de notre premier album L’Exil justement à la lecture d’une critique qui offrait cette comparaison. À l’époque, Krallice n’avait diffusé que quatre albums, que nous avons écoutés avec beaucoup d’intérêt. On peut effectivement déceler une certaine similitude avec ce groupe dans notre musique, notamment au niveau de la direction que prennent les mélodies. Pour l’anecdote, un de nos membres a enregistré un album d’improvisation en duo avec Mick Barr, guitariste de Krallice, au studio de Colin Marston, également membre de Krallice, en 2017. Pour les curieux, le projet se nomme Insect-ions.
Au niveau des influences majeures, sans vouloir entrer dans la redite ou la banalité, il est trop difficile d’identifier spécifiquement, et surtout collectivement, les groupes qui nous ont le plus marqués. Les membres d’Acédia consomment des musiques très diversifiées et amènent avec eux un lot important d’influences qui se recoupent dans notre local de pratique ou en période de composition.
Comment se porte la scène québécoise en ce moment ? Quelques noms de groupes émergents à nous faire passer ?
On ne peut pas parler d’une seule voix pour diagnostiquer l’état de la scène québécoise. Il ne s’agit pas d’un monolithe à partir duquel on peut tirer des conclusions générales. Néanmoins, dans notre cercle rapproché de la ville de Québec, nous sommes entourés d’une panoplie de musiciens motivés à présenter du matériel de qualité. Nous avons un écosystème riche en collaborations, ce qui a fait surgir énormément de groupes de qualité qui ont connu une belle renommée. On s’inquiète toutefois un peu pour la relève. Il n’y a pas autant de groupes qui se forment qu’auparavant et on voit de moins en moins de très jeunes dans les concerts.
Pour les recommandations locales, si ce n’est déjà fait, jetez une oreille aux albums « Les corps s’entrechoquent » d’Eos, « Destin Messianique » de Givre, ou « Morcelé » de Malebranche.
Vous citez Emil Cioran dans un morceau, êtes vous pessimistes quant à l'avenir de ce monde ? Et si oui pourquoi ?
Je ne crois pas que ce soit le rôle des musiciens d’offrir des pronostics pour l’avenir du monde. Fracture est plutôt une réaction à ce que nous observons au quotidien, dans notre temps. Du reste, nous doutons fort qu’il y ait aujourd’hui matière pour un optimisme sincère. Emil Cioran a su, en 1949, exprimer simplement et magnifiquement une condition qui s’apparente à un mal-être qui est encore perceptible aujourd’hui. C’est pourquoi on croyait à propos de l’intégrer dans un de nos textes.
Un message à faire passer aux lecteurs de Metallian et du Scribe ?
Merci d’encourager la scène émergente, internationale et francophone. Nous avons bien hâte de fouler le territoire européen pour vous présenter notre matériel.
ACEDIA SUR LE BANDCAMP DE LADLO
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