C'est du cœur de la torpeur estivale méditerranéenne que je vous écris ces quelques phrases. Sortant de mon relatif silence de ces derniers mois dû à une activité professionnelle parfois envahissante, souvent harassante bien que plutôt passionnante je tiens tout d'abord à remercier ici Jasper Ruijtenbeek, patron de The Ritual Productions et de la boutique FenrizNl qui, depuis son Pays-Bas, continue de m'accorder sa confiance pour parler de ses productions, une confiance dont je m'honore depuis bientôt six ans. Salut à toi donc mon ami ! Jasper, fidèle et indécrottable dénicheur et pourvoyeur de metal underground depuis des décennies, nous fait le plaisir de rééditer une partie de l'oeuvre des italients de Sinoath, qui, en bons italiens, brouillent les cartes stylistiques, bravent les conventions du metal et envoient paître les convenances d'une époque cadenassée, en nous proposant une musique tellement personnelle, à la croisée des chemins de différentes sonorités obscures ou psychotropes (parfois même les deux à la fois) qui trouvent leurs origines dans la musique sombre des années 60 à aujourd'hui. Trois albums donc, trois albums qui sont si différents les uns des autres alors que l'on y retrouve tout de même la signature de ces transalpins sans frontières. Ce que j'aime souvent dans le rock et le metal italien, c'est cette liberté, ce côté presque bancal des groupes qui tentent tout, quitte parfois à se tromper, qui n'ont pas peur des pompes gothiques les plus rococo tout en distillant en parallèle une finesse insondable, digne des plus grands maîtres de la renaissance.
Une Italie métallique qui vit son indépendance comme on portait la toge à Rome, comme une manière de reconnaissance d'une singularité aristocratique. Depuis Death SS en passant par Opera IX, Cultus Sanguine et bien d'autres, le rock et le metal italiens s'inscrivent sur la mappemonde en lettres de sang vampiriques et les esprits de l'ancienne Rome continuent de nous hanter par leur biais.
Pierre Avril 30 Juillet 2023
"Portraits de ténèbres personnelles"...Déjà, le titre. Ici le mot "personnel" est forcément le plus important, car l'œuvre de Sinoath est foncièrement personnelle, unique, et les ténèbres qui se dégagent ou qui génèrent une telle musique ne peuvent qu'être uniques.
Ici nous sommes loin des chapelles musicales habituelles, loin des modes, et la bande de Salvatore Fichera (batteur/fondateur) se fout de cela comme d'une guigne. Depuis 1990, dans l'ombre, Sinoath œuvre à une cathédrale sonore unique, nimbée d'une production lo-fi, parfois si lo-fi qu'on pourrait croire entendre une répète enregistrée sur un quatre pistes (et si c'était ça ?). Jamais avare en jams improvisées, cet album nous embarque dans un rock progressif/psychédélique typé 70's (y compris le son, donc) qui, à mesure des produits pris par les musiciens, tourne au good ou au bad trip. Une forme de mélange entre un Pink Floyd très shooté (début 70's), un Black Sabbath sous acides, un Pentagram qui aurait préféré se noyer dans les vapeurs toxiques du rock occulte à la Coven plutôt que de tout miser sur le doom. Le Jazz est toujours là aussi chez Sinoath, en embuscade, ce qui s'entend tout de suite sur un titre comme "Startershock (phantasmagoria)" et qui permet de passer à un doom venu du fin fond des enfers sur "Cogito Ergo Doom" sur lequel des trompettes jazz viennent se mêler à des riffs sinistres aux effets multiples, un "chant" quasi industriel et une rythmique pachydermique.
Je préfère ici prévenir tous ceux qui aiment les albums bien calibrés, mais sans doute auront-ils déjà passé leur chemin, Sinoath est sinueux, intangible, et glisse entre les doigts comme une anguille. La magnifique cover de cet album, avec cette photo de femme du début du 20ème siècle, colle à merveille avec l'atmosphère de ce disque que l'on pourrait croire par moments rescapé du naufrage du Titanic à bord d'un glaçon géant et retrouvé par accident par un certain Tony Iommi à la fin des sixties. Selon votre constitution, vous adorerez ou détesterez Sinoath, et c'est ce qui en fait un groupe aussi passionnant à mon sens. Ici les tièdes n'auront pas de place. Il est également notable que, sur ce quatrième album du groupe, le côté "metal" est mis en retrait au profit d'un rock très sombre et jazzy, proto-stoner et proto-heavy, aux structures progressives et hantées.
Ecoutez bien ce disque, vous entendrez les voix des âmes tourmentées qui ne trouvent ni le chemin du Paradis ni celui de l'Enfer, et errent dans un néant fort désagréable. Un album "trip" comme je les aime, réalisé par un groupe totalement libre dans sa création.
Jazz/Rock Progressif/Free Form/Doom Metal/Dark Metal
Toujours aussi libre, Sinoath publie l'année suivant la parution de "Portraits Of Personal Darkness" , ces "ballades pour le feu follet" continuent le travail de channeling spectral entamé sur le précédent album. On entend ici et là des références au death rock des débuts de Christian Death ("La Porta Del Mistero") mêlées à un rock psychédélique et progressif, religieux et délirant à la fois.
Sinoath n'apporte pas d'anomie supplémentaire à notre pauvre monde en déliquescence, mais vient contribuer au grand art de par sa totale indépendance naturelle. On retrouve ici le goût des siciliens pour un Doom Metal traditionnel lourd comme une enclume et aux guitares fuzzy ("She Lies In A Swamp"). Le chant grave et crooné peut parfois nous rappeler les grandes années d'Anathema (époque "Alternative 4" ou "Judgement"). C'est un harmonica luciférien qui ouvre "Magic Vortex" dans une atmosphère chimique et puissante. Si le groupe propose ici davantage de gros riffs doom, ne croyez pas pour autant qu'il renonce ne serait-ce qu'un instant à sa liberté formelle, et les arabesques Jazz/Prog/Psyché portées à l'orgue, à la trompette et aux guitares acides continuent d'hanter l'espace, nous ramenant parfois pas si loin des Doors de l'époque "Morrison Hotel" ou "LA Woman". Même si on sent que, ça et là, Sinoath tient à nous rappeler qu'il reste attaché au metal lourd et sombre, les déviances perverses de sa musique sont si nombreuses que l'on prend plaisir à l'oublier.
Protéiforme, Sinoath entend bien le rester, et insaisissable aussi. Cet album est comme une navigation aux travers de 60 ans de rock et de jazz, sans autres entraves que celles que les musiciens s'autorisent. Et toujours cette atmosphère de suie qui vient habiter plusieurs titres entre deux trips en apesanteur. Brillant.
Il est des groupes qui lissent leur son avec le temps, rendent leur musique plus abordable pour gagner toujours plus de public et il y a les groupes comme Sinoath. Manifestement, les siciliens n'en ont cure. Après deux albums très orientés rock prog/jazz/psyché, les voici revenus avec un disque au son crade à l'extrême, en fêtant le retour de Fabio Lipera à la guitare (membre des excellents Winged, cherchez sur le Scribe et vous trouverez). D'emblée le son va chercher du côté d'un Pentagram punk, une forme de Doom Metal enregistré au magnétophone à cassettes avec des amplis vintage et un chant habité digne du meilleur des vocalistes échappé d'un HP sous haute surveillance.
Plus typé "metal extrême" que les deux précédents, ce dernier album en date nous semble indiquer un retour aux sources doom et proto-black metal du groupe. Le chant se fait plus présent, les morceaux davantage structurés en chansons mais l'ensemble reste toujours aussi dingue. Sinoath ne renie rien de ses expérimentations passées mais semble plutôt les avoir digérées pour en faire ressortir un bain infâme et occulte dans lequel elles trouvent leur place tout en contribuant à une oeuvre plus homogène. Il est certain que, si vous êtes amoureux du son numérique et compressé, bah de toute façon vous n'aurez pas lu cet article jusqu'au bout (rires). Chaînon manquant entre Iron Butterfly, Coven, Candlemass, Pentagram, Bathory, Sinoath continue de tracer son sillon à travers champs, loin des routes conventionnelles si ennuyeuses, pour le plus grand plaisir des auditeurs en quête de sensations, d'atmosphères et d'une musique qui sache vous prendre par surprise.
Mille Bravos encore à Jasper et The Ritual Productions pour ces trois bijoux immanquables !
Pierre Avril
PS : on se retrouve TRES vite pour une autre sortie de chez THE RITUAL PRODUCTIONS !
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