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Chronique Livres - Chloé Delaume "Pauvre Folle" par Adeline Avril - 17 Septembre 2023
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Chloé Delaume
Pauvre Folle
Roman
Fictions & Cie - Editions du Seuil
2023
Chronique d'Adeline Avril
Clotilde Mélisse, dernière incarnation en date de Chloé Delaume, est auteurice, hétera, féministe engagée et réflexive. Elle a opté pour le lesbianisme politique, s’est fait brutaliser par son amante et reste hétéra devant l’éternel. Comme Ovidie, elle voudrait commencer une grève du sexe, se passer des couillidés au moins un moment, ne plus relationner avec eux.
Son aversion pour la phallocratie et sa misandrie devenue viscérale autant que politique et très assumée épargne (on ne sait pourquoi -et elle, le sait-elle ?- ) les couillidés gays, et c’est à cette source là que la créatrice va étancher un moment sa soif de relation amoureuse oui, amoureuse. Car Guillaume, Gay et en couple, réalisateur, n’a jamais caché son homosexualité qui ne souffre d’exception que pour “la Reine”, cette Reine avec qui il entretien une relation à la fois épistolaire et sexuelle, une relation artistiquement féconde, à laquelle ces deux âmes affolées d’absolu semblent addicts, cette “Reine” dont il est “Le monstre” dans leur monde à eux-seuls, la prairie de leurs échanges. Ici laissez tomber vos certitudes, la carte du tendre à des contours mouvants, élastiques, et parfois infectés.
Les ami.es de Clotilde s’affolent. Toustes pensaient le sujet “Guillaume” clos depuis 10 ans. Mais voilà qu’il revient. Et la Reine réclame son dû. Le Monstre lui donnera-t-il ce qu’elle veut ? Cette histoire est-elle une histoire d’amour, d’emprise, de création, ou un peu de tout celà ?
A vous de voir !
Clotilde Mélisse est donc Chloé Delaume, artiste protéiforme de longue date, dont le style autofictionnel expérimental chevauche la pataphysique depuis toujours. Un style unique qui s’épanouit dans la littérature expérimentale, mais aussi la performance et la musique indépendante.
C’est sans doute pour cela que les mots issus du militantisme ne sont pas dissonants dans sa prose heurtée, travaillée, mélange de poésie et de récit chronologique. En effet, tout se déroule lors de son voyage vers Heidelberg, lieu hautement connoté de romantisme. Durant ce voyage, l'héroïne questionne sa relation avec Guillaume, qu’elle qualifie tantôt de toxique tantôt de merveilleuse. Chaque étape, parfois gratifiée de la présence du Monstre à la Reine, ou d’un échange littéraire entre les deux, soit par mail soit au téléphone, est aussi l’occasion pour cette héroïne morcelée de laisser remonter en surface son enfance dévastée, sa psychose maniaco-dépressive, d’essayer non pas de s’analyser mais de voir la place que ces événements, tel l’assassinat de sa mère par son père, devant elle, puis le suicide consécutif de son père après qu’il l’ait elle-même tenue en joue, prennent dans sa vie et son oeuvre. On comprendra alors que le très contemporain mot “féminicide”, peu littéraire mais très clair dans sa brutalité, a toute sa place dans cette œuvre. D’une part, on reste dans l’auto-fiction expérimentale dans laquelle les règles d’une littérature dépecée du vocabulaire du réel ne s’appliquent plus. D’autre part, CD fait parler son double, donc ce double parle comme CD.
C’est dans un monde qui vit le pré-avènement (fiction non réalisée) de sa transformation qu’évoluent Clotilde et ses proches. Iels s’inquiètent pour elle car elle s’enfonce dans une chimère et iels regrettent que son aversion des couillidés la conduisent à vivre et sublimer une relation toxique avec un homme qui n’est “même pas bisexuel”. Ensemble, iels font de la magie, jamais ni l’héroine ni ses ami.es n’argumentent leur méfiance en convoquant la logique pure, la psychanalyse ou la science. Ressort de ce roman une aura de surnaturel que la romance tissée par la Reine et le Monstre achève de faire surgir. S’agit-il de la psychose et de ses effets sur l’art, ou bien sommes-nous véritablement entré.es dans une autre phase de réalisme post-science (je parle toujours du livre), où les dimensions artistiques n’infirment pas le réel mais le croisent. La seule chose triviale ici, c’est la douleur qui cesse d’être romantique, littéraire, lorsque le mal d’amour devient morbide et ramène Clotilde, non la Reine, vers le raptus suicidaire, son ennemi, son “mot de sortie” de cette relation douloureuse consentie jusqu’à un certain point. Est-elle sous emprise ?
Oui, il y a du néo-féminisme dans ce roman. Non, cela ne le rend en rien moins puissant même pour des lecteurs que le mot patriarcat sature. Pas de point médian. C’est une œuvre littéraire qui vous entraîne dans un monde à côté, tel que seule la littérature peut le faire. Si l’amour et la magie vous encombrent et que vous n’aimez pas faire des expériences, ce sera peut-être difficile pour vous . Or pour entrer dans cette expérience, il faut être consentant. Chloé est comme un vampire élégamment perruqué en dessous affriolants, il faut l’inviter pour la laisser rentrer. Comme cela a dû l'être chaque fois que vous avez essayé de lire cette auteurice/auteure/autrice (c’est comme vous voulez)
Mais si vous avez la disponibilité pour vous autoriser à expérimenter une littérature qui se structure hors des clous et ne trouve rien d’appétant à surjouer la normalité , vous aimerez ce livre et regarderez avec un oeil différent ceux qui vous entourent, qu’ils se disents ils, elles ou ciels. Puis vous retournerez à vos affaires, comme je le fais moi même dans un monde plus rassurant, moins exaltant peut-être, mais voilà, chacun sa névrose et chacun sa psychose.
Pour compléter cette lecture, ou la précéder, une très intéressante interview croisée se trouve dans les inrockuptibles spécial “rentrée littéraire” entre Pourchet et Delaume, sous le patronage de Leslie Kapriélian. Elles y discutent de leurs derniers livres respectifs, de leur relation aux hommes en tant qu’hétéros et de la question sous-jacente : après #metoo, comment réintégrer l’homme dans leur vie ?
LE LIVRE AUX EDITIONS DU SEUIL
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