Olivier Déhenne
Premières Fois
Nouvelles
2019 L'Age d'Homme - Collection Contemporains
Olivier Déhenne ? si, comme moi, vous possédez quelque bagage culturel en termes de musiques sombres et underground, vous devez connaître l'oeuvre d'Eros Necropsique, entité étrange et noire, dont les textes poétiques dévoilent depuis plusieurs décennies un romantisme macabre réunissant comme il se doit les pulsions de vie et de mort d'Eros et de Thanatos, conjugués dans un écrin musical gothique.
Ce n'est pas d'Eros Necropsique que je vais ici vous entretenir, ni même d'ailleurs de musique, puisqu'il se trouve qu'Olivier Déhenne est également écrivain. Après un premier roman sous forme de journal intime - Les Miasmes de La Claustration - c'est ici sous la forme du recueil de nouvelles que la plume d'Olivier est venue se plonger dans le sang et les liquides corporels les plus divers.
Cela va de soi, ces nouvelles ne sont pas destinées aux âmes sensibles, tant le goût d'Olivier pour le macabre, l'érotisme noir, trouvent ici un écrin dans lequel il faut ajouter un humour subtil, une qualité littéraire des plus rares, et une véracité plantée au coeur des personnages.
Ici nous retrouvons plusieurs femmes et filles, quelques garçons aussi, nous narrant la première fois que le sexe a réellement pénétré - c'est le mot - leur vie.
Si les déflorations féminines occupent une grande part, les façons en sont chaque fois ingénieusement revisitées. Entre celle-ci qui va choisir un légume pour sortir d'une virginité que la trentaine est en train de rendre insupportable, celle-là dont le père surprotecteur a rendu la première fois particulièrement violente, celui-ci dont les fonctions lui permettent de compléter son cheptel de conquêtes même au delà de la mort et quelques autres, Olvier Déhenne ne nous parle pas que de sexe et de mort, mais bien aussi de frustration, de folie, de violence - ordinaire ou pas - de misère mentale et sexuelle, tout cela tenu par une langue magnifiquement maniée, car, même si profondément contemporaines, ces nouvelles ont la qualité de grands auteurs des siècles passés. On pensera ici à Sade - l'horreur graphique moins insupportable tout de même, ou Lautréamont pour la création d'atmosphères d'un noir charbonneux. La dernière nouvelle - Le fauteuil - nous prouve aussi que l'auteur n'a pas besoin de toujours fouler des territoires macabres, quand ici l'imagination prend toute la place et peut amener des rêveries qui semblent se matérialiser.
On sent bien qu'Olivier Déhenne ne tombe jamais dans la simplicité - quand bien même son sujet soit parfois scabreux - et nous montre en observateur attentif la psyché de l'humain le plus banal, cachant en son sein la folie la plus démoniaque.
Douze nouvelles, douze thèmes liés à cette première fois, qui, avouons le, est rarement une réussite sur le plan sexuel, même si heureusement les dénouements dans la vie réelle n'en sont pas aussi dramatiques. Toutefois, dans cette expérience unique dans une vie, on trouve cette dimension anxiogène qui est ici poussée aux extrêmes, cette peur de souffrir, de rater, de ne pas aimer l'acte, toutes ces peurs qui, séparées ou additionnées, peuvent faire chanceler l'esprit sensible.
Il est donc plus que temps de consacrer Olivier Déhenne écrivain, quand bien même Eros Necropsique vient de sortir un nouvel album que je ne peux que vous recommander. Les deux oeuvres, musicale et littéraire, se complètent sans se marcher sur les pieds, et nous voici ici en face d'un véritable auteur, qu'il sera dommage de méconnaitre. Un auteur fin et sensible, qui démontre dans ces nouvelles qu'il peut parler à différentes parts de nos âmes d'enfants flétries et nous rappeler que la mort nous attends tous au tournant, que le monde réel n'est pas toujours aussi beau que celui du rêve.
Pierre Avril
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