INTERVIEW - Le Désespoir - Depressive Antifascist Black Metal - Le Scribe du Rock - Remparts Productions - Pierre Avril
"Je conseille l'écoute d'interviews de Johann Chapoutot, historien du nazisme, qui explique en quoi le libéralisme et le management sont les dignes héritiers du IIIᵉ Reich"
Bonjour FB, Le Désespoir peut se définir comme un groupe de black metal atmosphérique, antifasciste et empli d'une immense mélancolie digne des plus grandes œuvres en matière de black metal dépressif. Peux tu nous en dire plus sur la naissance de ce projet fascinant ?
Bonjour, Le Désespoir est un projet très personnel, pour expliquer l'origine de ce projet, j'ai besoin de résumer mon rapport à la musique. J'ai commencé les percussions à 6 ans, j'ai été dans plusieurs harmonies d'écoles de musique, orchestres départementaux et un orchestre national. J'ai tout le temps écouté beaucoup de musique (du jazz, de la musique classique, …). J'ai commencé le metal par Iron Maiden, Metallica, Scorpion. Pendant mon lycée, j'ai découvert le metal extrême (en commençant par le death avec Death, Morbid Angel, Necrophagist … ensuite le black avec Emperor, Mayhem, Burzum...). À cette époque, j'avais commencé à apprendre la batterie (et la double pédale), et j'ai rencontré CL, un ami qui est maintenant très proche (qui fait la basse sur VILLE). Nous avons commencé à jouer ensemble (en faisant des reprises – notamment de Mastodon, Gojira, Benighted, Aborted, Dying Fetus,...) et on a sorti un EP de Death Progressif. On est actuellement sur la finalisation du premier album. Entre-temps, j'ai fait des jams où j'ai rencontré KC (le guitariste sur cet album) qui m'a intégré à un groupe de Death Oldschool (on a sorti un EP et on va sortir un album en mars de cette année). Le Désespoir est né de ma frustration du compromis. Je ne voulais pas que quelqu'un ait un regard sur ce que je fais, je voulais créer quelque chose pour moi en arrêtant de me prendre la tête sur plein de questions chronophages et j'en avais marre que quelqu'un prenne ce que j'avais composé en le modifiant, le dénaturant de toute l'âme que j'avais mise dedans. Je voulais aussi voir le processus de création musicale en entier.
Comment expliquer ce mélange de militantisme politique et de désespoir ? Pensez vous que tout est foutu ?
Aujourd'hui, le 09/02/2025, les indicateurs internationaux ne sont pas optimistes (réélection de Trump aux USA, réchauffement climatique, guerre en Ukraine, très probable crime contre l'humanité en Palestine, tuerie de masse en Suède, déni démocratique macroniste …). Je suis pessimiste concernant l'avenir du monde, mais cela ne m'empêche pas de vouloir vivre. J'ai une curiosité malsaine du futur, découvrir à quel point l'humain est bête, avare, futile et mesquin. Je suis né en 2002, et ma génération a un terme pour parler de ce sentiment (déprime de l'actualité, aigrissement généralisé, c'est un anglicisme) : le doom. Le Désespoir est l’exégèse de mon côté dépressif, malsain ; le mal de la religion chrétienne. En même temps, c'est vrai que le militantisme est un peu en contradiction (en apparence) avec la dépression, mais il est utile de noter que beaucoup de militants politiques souffrent de dépression et que la tristesse du constat de délitement du monde actuel est le moteur de la colère, la rage et donc l'énergie première du militantisme. Je ne sais pas si je pourrais être qualifié de militant authentique, je ne suis dans aucun parti ni organisation. Mes seuls actes militants sont l'écriture de textes engagés et le refus de financer des artistes que je considère fascistes.
Vous proposez deux longs morceaux aux textes poétiques, avec des thématiques comme les dérives sectaires, l'inhumanité des métropoles, la destruction par l'homme de son habitat et la nécessaire lutte contre le fascisme. Peux tu nous dire quels éléments se rattachent à ce fascisme montant, et nous en dire plus sur le sectarisme actuel. S'agit-il d'un sectarisme politique ?
Il y a plusieurs points importants. Tout d'abord, ayant une formation scientifique, je me suis intéressé à l'esprit critique et à la théologie. J'ai eu de longues discussions avec des personnes qui connaissaient la vérité (qui avaient une vérité propre et définitive, qu'elles défendaient corps et âmes) ; c'étaient des militants politiques de tout bord, des témoins de Jéhovah, des évangélistes,… Je ne sais pas s'ils étaient tous conscients de leur cécité, mais ce qui était marquant, c'est leur incapacité à changer d'avis. Pour moi, la définition même de parti politique provoque une tendance au sectarisme (création de cercles amicaux uniquement centrés sur des idées convergentes, ce qui empêche à une personne dans ce parti de partir sous peine de perdre ces amis). Concernant la fascisation du climat actuel, je conseille l'écoute d'interviews de Johann Chapoutot, historien du nazisme, qui explique en quoi le libéralisme et le management sont les dignes héritiers du IIIᵉ Reich.
Au niveau musical vous brassez un son dur, avec des guitares hyper saturées, des vocaux enfouis dans le lointain, des claviers et du piano qui viennent renforcer l'atmosphère lugubre et romantique de l'ensemble. Comment avez-vous construit ce son et quelles sont vos influences musicales, littéraires, cinématographiques et artistiques ?
En rédigeant cette interview, j'ai écouté le premier album de Zéro Absolu ainsi que le dernier Aara. Pour Le Désespoir, les influences sont multiples et ne se cantonnent pas au black de gauche. Je suis un immense fan de la musique de Leviathan (massive consiracy against all life, the tenth sublevel of suicide, verrater), Xasthur (suicide in dark serenity, to violate the oblivious, telepatic with the deceased), Wolves in the thrones room (two hunters, celestial lineage, black cascade), Deafheaven (sunbather, new bermuda, ordinary corrupt human love), Der weg einer freihet (unstille, stellar, finisterre), Gris, Afsky, Ash Borer, Weakling, None, Shining (les 5 premiers), Make a change kill yourself, Hate forest, Darkspace, Paysage d'hiver, Deathspell omega, Boreal, Lamp of murmuur, Lurker of chalice, Lutomysl, Akhlys, Nightbringer, Mgla, Wiegedood, White ward, Windir, Imperial triumphant. Concernant les autres arts, je pourrais citer les films de Bruno Dumont, Tarkovski, Kechiche, Lynch, Gaspard Noé, Herzog, Lars von Trier, Haneke, Almodovar, Nicolas Winding Refn, Béla Tarr, Coppola ; l'art pictural de Mohlitz, de Zdzisław Beksiński et de Veličković ; les écrits de Nietzsche, Max Stirner, Platon, Schopenhauer et récemment Cioran. Je tiens à préciser que j’apprécie ces œuvres dans une visée artistique, je ne peux pas m'empêcher d'apprécier de l'art (les larmes ne trompent pas), mais je ne soutiens pas les actions ou les prises de positions de plusieurs de ces artistes.
Cette interview sera utilisée dans un livre que je suis en train d'écrire sur le RABM (Red Anarchist black metal) . En tant qu'antifascistes vous sentez vous proches de ce mouvement ? Et si oui quels groupes de RABM vous appréciez le plus ?
Je ne m'empêche pas d'écouter des fascistes (on notera dans la liste musicale précédente la présence de plusieurs groupes clairement pas progressistes – voire même des criminels condamnés –, mais je ne me vois pas les taire, leur musique m'a beaucoup inspiré). Faire de la musique de gauche, en France, c'est une manière de lutter idéologiquement contre le black metal fasciste français qui est une des scènes les plus prolifiques (tel que kpn, baise ma hache, seigneur voland, autarcie,...). J'ai écouté ces groupes, et apprécié leurs musiques, mais j'ai eu beaucoup de dégoût à la lecture de leurs textes ou de leurs interviews, après la discussion avec des amis étant à leurs concerts constatant des saluts fascistes... Concernant le RABM, je ne me revendique pas communiste (donc le « red » me dérange un peu – lire l'historien Nicolas Werth), j'aurai moins de mal avec l’étiquette marxiste même si je ne me sens pas assez sachant pour l'adopter définitivement, je me sens plus anarchiste (Stirner, Bakounine, Kropotkine,...). Il me semble que Wittr, Wiegedood, Afsky, Boreal seraient les musiciens de gauche que j'apprécie le plus. J'apprécie l'artiste antifasciste Misanthropic Art.
J'aurais aimé, lorsque les années 90 commencèrent, avoir des contacts avec des gens de ma région qui se revendiquent de anarchistes ou de Gauche, comme moi, mais à l'époque la plupart penchaient très à droite, voire pire. Finalement on peut se réjouir que cette scène BM de Gauche se développe, non ?
Oui, bien sûr. J'aurais pu taire mes positions et sortir mon album sans parler de politique, mais il y a trop de fascistes dans la scène black metal, et il faut décaler la fenêtre d'Overton. Le silence aurait sans doute été plus simple, mais comment dire… Le fascisme est un sérieux danger. L'extrême droite est au pouvoir dans plein de pays. On ne peux plus se permettre d'être neutre, la neutralité participe au statu-quo, et ce n'est plus acceptable. Et même pour ceux qui revendique la provocation comme justification de leurs signes, ce n'est plus provoquant d'être de droite, Elon Musk a littéralement fait un salut nazi (il soutient l'afd allemande, défend Tommy Robinson et Giorgia Meloni). Il est visiblement plus provocant d'être antifasciste, puisque médiatiquement nous sommes totalement minoritaires et conspués.
Votre musique est envoûtante, hypnotique, et l'on dépasse le stade de « chansons » pour arriver dans celui de morceaux, voire de pièces d'une symphonie tragique ? Ce côté hypnotique était-il recherché ou les choses sont arrivées comme cela ?
Je ne sais pas si je m'attendais à avoir réellement ce son avant d'enregistrer l'album. Le son premier était un son midi provenant des partitions Musescore, donc vraiment ignoble. Au final, le son était très saturé, distordu, original, c'est pourquoi j'ai rajouté le terme psychédélique (sachant qu'il y a un phaser ou flanger). Je souhaitais vraiment créer une bulle sonore, créer un monde quand on écoute ma musique. C'est ce que je cherche quand je fais des ballades musicales (clairement le meilleur moyen pour moi de découvrir de la musique).
Revenons au titre de l'album, « Ville », et l'on retrouve cette angoisse liée aux métropoles/mégalopoles. Pensez vous que nous pouvons lutter contre l'expansion sans fin de ces cités sans âme ?
J'ai grandi à la campagne. Mon arrivée en ville a coïncidé avec le début des confinements, de mes études supérieures, de l'immense tristesse. La vie en ville, c'est se sentir très seul dans des bains de foule. La ville, c'est le symptôme de la société moderne. La voiture (présente dans l'album par le biais de l'extrait sonore de la moitié de ce morceau, extrait venant de youtube, d'une vidéo de dashcam russe traumatisante, où l'on entend le décès d'Olga Gaikovich, 29 ans) est pour moi l'instrument de la ville. Des rues remplis de voitures, venus pour coloniser ces cités, polluer notre seul monde, tuant des innocents. La ville, c'est là où notre monde dépérit, où l'on oublie notre origine animale en se croyant supérieur au vivant tout en s'avilissant dans les désirs les plus inavouables. Pouvons-nous lutter ? Je ne sais pas, nous sommes trop nombreux. Nous sommes le cancer de la Terre, nos villes en sont les métastases. Un cancer sans traitement, cela va de soi. Peut-être courons-nous vers la planète-ville de Blame ! de Tsutomu Nihei ...
Quelle est votre vision du monde dans lequel nous vivons et pensez-vous que l'avenir peut être meilleur ?
Monde de merde … Que dire de plus ? Tout est triste. Tout ne m'inspire qu'un profond dégoût de l'humanité. L'esclavage moderne qu'est le salariat, le fait que l'on doive travailler pour vivre, les massacres d'innocents, la domination du monde par l'argent, l'alliance des libéraux et des fascistes, l'avancée du complotisme, … Combattre est nécessaire. L'honneur de se battre n'est pas le plus grand quand la guerre est gagnée. Mourir droit dans ses bottes, la défaite pour ses idéaux, c'est le plus grand honneur. Dormir la nuit en trahissant mes principes m'est impossible. Vivre parce que c'est le plus facile, c'est ce que l'on fait tous les jours. Vivre pour l'art, c'est le plus agréable, et pour moi, la seule façon de vivre. Comme dit précédemment sur l'actualité, les choses ne vont pas en s'améliorant, et c'est un euphémisme.
Si Le Désespoir était une citation ou un proverbe ça donnerait quoi ?
La citation serait : « La vie oscille, comme un pendule […], de la souffrance à l'ennui » d'Arthur Schopenhauer. Belle idée de la dépression, du fait que rien ne sera autre chose que la souffrance et l'ennui. La souffrance du son agressif, des textes dépressifs métaphysique. Et l'ennui parce que les morceaux sont longs et peut-être trop répétitifs.
Je te laisse le mot de la fin FB
Je vous remercie pour l’intérêt que vous avez porté à ce projet. C'est ma première interview sur ma musique, j’espère que cela aura un sens et que cela aidera mes auditeurs à comprendre un peu plus ce qu'ils ont écouté. Aussi, soutenez les artistes underground et locaux ; écouter sur des plate-formes de streaming n'est pas suffisant si vous voulez que ces artistes vivent et continuent à faire la musique qui vous plaît. Merci Pierre
MERCI !
https://rempartsproductions.bandcamp.com/album/ville
https://linktr.ee/rempartsproductions
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