Interview - Putain de Tristesse - DSBM - Le Scribe du Rock - Pierre Avril
INTERVIEW AVEC ARUNDA
« A cœur vaillant, rien d’impossible »
Salut Aarunda, le premier album de ton projet Putain de Tristesse est sorti il y a peu, faisant suite à un premier EP. Peux tu nous en dire plus sur la genèse de ce projet ?
Salut Pierre. J’ai eu ce titre, alors que j’étais en pleine composition du 1er album de Doska, que je ne savais pas comment « traduire » pour Doska… un titre plus lancinant, plus rock aussi, quasi hypnotique. Peu de temps après je me suis rendu à l’évidence qu’il s’agissait de la naissance d’un projet qui serait différent de Doska et par lequel je pourrai exprimer mes émotions de manière plus directe, moins « littéraire » dirais-je… Ainsi était né le titre « l’Héritage » et, par la même occasion, ainsi est né Putain de Tristesse.
Tes textes semblent très autobiographiques et font référence à des traumas survenus dans l'enfance. Ce black metal hypersensible te sert-il de catharsis pour exorciser de vieux démons ? Et si oui comment ?
Oui c’est totalement une musique cathartique que je joue. Tant avec Doska qu’avec Putain de Tristesse, d’ailleurs. Cependant la différence de forme est importante puisqu’elle permet de s’exprimer différemment, à l’instar d’un peintre qui ferait de la peinture à l’huile, puis se mettrait à l’aquarelle …
Doska s’exprime naturellement à travers un monde imaginaire métaphorique mais appelle à un certain travail d’écriture et de mise en forme. Putain de Tristesse est à l’inverse une expression spontanée, brute et sans filtre de mes émotions. Les éléments autobiographiques sont plus évidents en ce sens qu’ils sont exprimés clairement et en Français.
« La Chanson des Jeunes Amants » rend hommage et cite même « la chanson des vieux amants » de Jacques Brel. Chef d’œuvre de la chanson francophone mélancolique et poétique. Que représente Brel pour toi ?
J’ai été élevé avec de la musique. Et mon père était un inconditionnel des « 3 B », comme il les appelait : Becaud, Brassens et Brel. Bécaud avait la puissance, Brassens les textes, Brel avait les deux… C’est un des plus grandes artistes francophones du XXeme siècle et « La chanson des vieux amants » est une des plus belles chansons jamais écrites, à mon sens. Rare sont les chansons qui parlent réellement d’amour. On confond souvent l’amour avec la passion, or la différence entre les deux se situe dans la durée. L’amour que chante Brel est celui qui résiste au temps, qui ne s’arrête pas à la moindre épreuve et qui garde liés deux êtres qui se sont engagés l’un envers l’autre pour la vie. Je trouve incroyablement triste que ces valeurs soient devenues si surannées alors qu’elles devraient être intemporelles. Mais nous vivons dans une époque où tout se consomme, même les relations humaines, et où il est de moins en moins « normal » de rester fidèle tant à ses principes qu’aux humains envers lesquels on s’est engagé.
Tu parles aussi de cette tragique perte de l'enfance, de la fin de l'insouciance – existe t'elle vraiment ? - Ne penses tu pas que l'artiste, quelque part, même si sa vie est souffrance, garde une toute petite part de cette enfance ?
Oui je pense que l’insouciance enfantine existe belle et bien, qu’elle préserve l’enfant d’une certaine manière, de la cruauté du monde auquel il n’est pas encore préparé. En cela, le parent à un rôle primordial d’accompagner progressivement l’enfant à prendre conscience, à se défendre contre les horreurs de la vie et à devenir autonome pour survivre dans ce monde implacable. Je pense que l’enfance s’arrête le jour où l’enfant devient capable de se défendre seul face au monde, en ayant justement conscience de sa cruauté. Cela peut venir très tôt pour certains.
Je pense que l’on change, dans la forme, mais que l’on reste le même toute notre vie, dans le fond. La souffrance fait partie intégrante de notre existence et ce, dès notre naissance. Ne nait-on pas d’ailleurs en hurlant ? C’est un fil conducteur jusqu’à notre mort et il serait illusoire de croire le contraire. On apprend à vivre avec ses souffrances, à se défendre également contre elles pour s’en préserver le plus possible… l’enfant que l’on est un jour grandit certes, il évolue, il change, il apprend, mais il reste le même au fond et je pense que c’est cette voix que les artistes écoutent lorsqu’ils s’expriment sincèrement.
Plutôt que de le réduire à un énième album de DSBM, style devenu un peu générique, je considère ton album comme le cri d'un être sensible dans un monde inhumain. La violence de ce monde, physique comme psychique, ne cesse de nous détruire chaque jour. Ta musique a t'elle vocation à aider les autres hypersensibles qui se sentent seuls et isolés ?
Tu as parfaitement résumé ma démarche. C’est un cri du cœur, un cri de colère, de frustration, de tristesse, mais également un cri de ralliement et d’espoir pour tous ceux qui l’entendront résonner en eux.
Je me défends d’être porte-parole ou leader d’un groupe, que cela soit les hypersensibles ou les dépressifs ou que sais-je… mais quand quelqu’un me dit qu’il a été touché par ma musique et mes textes, que ça a résonné en lui/ en elle, cela me touche évidemment énormément. Et même si mon art à avant tout une vocation cathartique, je suis fier que son partage crée des émotions chez les autres et qu’ils se sentent moins seuls, comme lorsque j’écoutais le « Crimson Idol » de WASP ou « Filosofem » de Burzum et que je me sentais connecté à l’artiste.
Tu as collaboré avec Déha sur ce disque, peux tu nous en parler ainsi que de tes autres collaborations ?
Déhà fait partie de ces artistes auxquels je me sens connecté. Nous sommes différents, avons des points de vue différents sur certaines choses, mais nous partageons une grande sensibilité et une volonté de l’exprimer la plus authentiquement possible. Lorsque j’ai voulu insérer un break scandé comme du rap sur « Qui suis-je ? », j’ai très naturellement envoyé un message à Déhà, avec lequel je n’avais pas encore échangé, pour lui proposer. Il a accepté spontanément et a composé et enregistré sa partie en 30 minutes chrono. Par la suite, une fois l’album post-produit, je lui ai envoyé et il m’a proposé de m’aider dans ma démarche en me donnant des conseils pour corriger mon mix d’une part puis en me proposant de s’occuper du mastering à prix d’ami.
Pour ce qu’il s’agit de Maxime et de Salem, ce sont deux artistes complets, aux styles marqués et authentiques et dont j’aime le travail où plane clairement le spectre de la dépression. Maxime m’a également fait l’honneur d’accepter que je puisse exploiter une de ses œuvres pour la pochette de l’album. Je suis heureux d’avoir ces 3 invités sur mon album.
Quelle place occupe Putain de Tristesse dans l'espace de tes autres projets ?
PdT et Doska sont complémentaires. Ils agissent en synergie dans un cycle de deuil de celui que j’étais avant ma dépression. Peut-être que PdT n’aura plus rien à dire dans le futur après ce 1er album… ou peut-être que 15 albums sortiront. Je ne suis certain de rien.
Toutefois, comme le disait de Nerval, « La mélancolie est une maladie qui consiste à voir les choses comme elles sont. », aussi tant que je verrai les choses avec lucidité, il est à parier que j’aurai des choses à dire…
Ce qui est certain, c’est que le 2eme album de Doska est très bien avancé à l’heure actuelle et qu’il verra le jour en 2025. J’ai 1000 envies sur 1000 choses différentes mais le temps me manque pour tout, il me faut donc faire des choix…mais si mon inconscient appel PdT à refaire quelque chose, tu peux me croire que je le laisserai parler.
Quelle est ta vision de notre société actuelle et pense tu qu'on puisse aller vers le mieux ?
Non. Je suis un optimiste réaliste et j’ai conscience de la merde de ce monde et tente juste de vivre et d’aider les autres à vivre, le mieux possible. Je suis, pour autant, prêt à me montrer sans pitié si la situation devient hostile pour moi ou ma famille. Le monde est régi par une logique économique qui profite à des puissants mais nous a fait nous enfermer dans un cercle vicieux dont je vois mal comment sortir. J’entends les arguments des anarchistes de faire sauter le système et de rendre à chacun le pouvoir de maitriser sa propre vie… mais je pense que c’est utopique. Le monde n’est pas prêt à se soulever. Nous sommes tous des animaux domestiqués, éduqués à lever la patte. Tout au plus pouvons-nous montrer les dents et mordre. Mais je ne pense pas que la vapeur s’inversera.
Malgré tout je pense que chacun est, au quotidien, acteur d’un monde non pas meilleur mais « moins merdique ». Se comporter comme un enculé semble être plus profitable mais cela ne fait que renforcer notre dépendance à un système à qui notre individualisme profite. Si les gens étaient moins cons et plus empathiques envers les autres, ils seraient plus unis et certainement plus susceptibles de s’affranchir de leur dépendance au système. Peut-être même de se soulever, ensemble contre un oppresseur finalement largement en sous-nombre…
Mais ça n’arrivera pas. Le monde est trop idiot et égocentré. La scène BM en est d’ailleurs un excellent exemple : énormément de gars frustrés et en colère, qui crachent sur tout et sur tous, en se croyant élitistes et en prônant la révolution, la guerre ou l’anarchie… mais qui ne font rien pour inverser la vapeur et se complaisent dans un monde qui leur dicte quoi faire, en consommant leur musique favorite comme des junkies abrutis de substances. Des chiens éduqués qui se prennent pour des loups sauvages, en somme.
Musicalement on reconnaît dans tes projets cette patte mélodique qui lorgne parfois vers le heavy, considères-tu cela comme ta signature ?
Tu n’es pas le 1er à me faire la remarque. Je ne me pose pas vraiment la question, je l’avoue, mais je suis tout de même fier que l’on me dise que ce que je fais est reconnaissable. Ça signifie surtout pour moi que je ne suis pas dans la norme ou dans la mode. Or, c’est le cœur même du Black Metal, à mon sens : être iconoclaste, non conventionnel et ne pas suivre le mouvement….
Pour ce qu’il s’agit des mélodies heavy, c’est un fait, je suis un fan de Maiden, de Priest et d’autres qui ont suivi. J’ai d’ailleurs un album heavy metal composé et enregistré il y a quelques années… je le déterrerai peut-être un jour, qui sait…
Donc oui je pense que c’est effectivement inscrit dans mon ADN, c’est plus fort que moi (rires)
Si Putain de Tristesse devait être un proverbe ou une citation ça donnerait quoi ?
Mon mantra depuis de nombreuses années, celui que j’essaye de me rappeler quand mon syndrome de l’imposteur me susurre que je ne suis pas capable de quelque chose… c’est « à cœur vaillant, rien d’impossible ». Nous sommes notre propre limite, notre pire ennemi parfois.
Le mot de la fin est pour toi
Je l’utilise donc pour te remercier tant de cette interview que de ton soutien à ce que je fais, mais également pour ton partage de ta passion à travers le Scribe du rock et tes livres.
Merci à ceux qui auront pris la peine de lire cette interview également et à ceux qui soutiennent mes projets.
MERCI !!!!
https://doska.bandcamp.com/album/putain-de-tristesse-putain-de-tristesse
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